Paquito Schmidt


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Un point de vue très subjectif à propos du festival « Voix Vives de méditerranée en méditerranée » à Sète (Le 02/08/2024)


La poésie est au pire gnangnan, au mieux fleur bleue, grandiloquente quand elle est déclamée avec une théâtralité excessive et digne d’un autre âge ou au contraire récitée sur un ton monocorde. En un mot la poésie est ennuyeuse ! C’est ce que j’aurais pu dire à la fin de la soirée d’ouverture des « Voix Vives ». Et pourtant, dès cette soirée, j’ai découvert quelques pépites.

 

C’est elles, pourtant fort différentes, que j’ai décidé de suivre tout au long des 7 jours du festival :

 

Levent Beskardès, né en Turquie, sourd et muet, s’exprime en langue de signes internationale, mais son corps et ses mains sont tellement expressives que la traduction en devient presque inutile.

 

Mel Moya et Aurélien Dony, deux poètes et comédiens belges, qui ne cachent pas tout ce qu’ils doivent à leur compatriote Laurence Vielle. Tous les deux ont régalé un public de plus en plus nombreux au fil des séances. Avec leurs poèmes liés à leur propre vie, à l’actualité immédiate ou au politique, mais sans jamais confondre poésie avec tract politique. Et que dire de leur interprétation formidable où corps et voix portent les textes. Aurélien Dony a également fait cadeau à son public, à chacune de ses séances journalières, d’un poème écrit dans les heures précédentes. Pour moi « Bleu » et « Fatigué », pleins d’humour, ont été les plus beaux. 


Le palestinien Khaled Al Nassiry, de sa voix de stentor, m’a ému avec son poème rappelant le calvaire d’une iranienne lapidée.

 

Alaa Hassanien, jeune égyptienne de 28 ans, en attente de papier d’asile en France, m’a charmé, bluffé, mais aussi angoissé avec ses vers où elle crie son amour pour une femme, son refus de mettre au monde un enfant …

 

Le français Patrick Sirot, professeur aux Beaux Arts de Toulon, qui triture la langue en mettant en vers la « parlure » des bourbonnais, qui s’attaque à tous ceux qui prospèrent sur la peur de l’autre (« La peupeur »), qui fait jaillir émotions et larmes lorsqu’il dit quelques poèmes autobiographiques de sa jeunesse à sa vie d’adulte.

 

Ces six là ont prouvé que poésie ne rime pas obligatoirement avec ennui.


Lors de la soirée de clôture, certains autres ont montré un réel effort pour mettre en valeur leur poème.
Et vivent la poésie et les « Voix Vives » ! 


[au format PDF]


Les autres années

chez l'éditeur

Bruno Doucey


Quelques vidéos prises avec un téléphone portable

[A l'exception du titre du poème de Khaled al Nasiry, les titres des autres poèmes ne sont pas officiels]

[Les enregistrements concernant Mel Moya et Alaa Hassanien sont malheureusement techniquement non publiables]


Rino Della Negra, étoile rouge du football et de la Résistance (22/06/2024)


Une note de lecture à propos du livre de Dimitri Manessis et Jean Vigreux « Rino Della Negra. Footballeur et partisan » (éd. Libertalia) 


Dans quelques dizaines de jours, les jeux olympiques et para-olympiques 2024. Et à cette occasion, l’apolitisme du sport et des sportifs est mis en avant comme une valeur cardinale.

Et pourtant jamais le sport n’aura autant été utilisé par les femmes et hommes politiques surtout pour valoriser leur propre personne. C’est à qui embrasse un footballeur au milieu du terrain de foot, c’est à qui se baigne la première dans la Seine…

Mais le sport apolitique n’existe pas. Au contraire, il a toujours été traversé par des courants contradictoires. D’un côté un Pierre de Coubertin tenant des propos racistes, misogynes et pro-hitlériens ou un Juan Antonio Samaranch aux activités gouvernementales franquistes et positions favorables au pouvoir soviétique … D’un autre côté des athlètes, certes minoritaires, sensibles aux faits politiques et sociétaux : des Tommie Smith et John Carlos, des Lilian Thuram, des Dominique Rocheteau, des Socrates, des Jenni Hermoso ...

Le foot a été, dès l’origine, particulièrement lié à la politique et aux différences de classes : le catholique Stade Brestois ou la laïque Association Sportive Brestoise ; le Real Madrid des « riches » et l’Atletico Madrid des classes populaires ; le Boca-Junior des « pauvres » et le River Plate des « riches » à Buenos-Aires ; le Red Star Football Club de Saint Ouen et son étoile rouge …

On peut donc être sportif et pas indifférent au monde et oser le dire.

Un livre récent consacré à Rino Della Negra (1923-1944), footballeur du Red Star FC nous le rappelle très opportunément.

Son histoire, relatée dans le livre de Dimitri Manessis et Jean Vigreux « Rino Della Negra. Footballeur et partisan » (éd. Libertalia) est à peine croyable. Le livre raconte cette jeunesse en milieu ouvrier, marquée par le Front populaire, la banlieue rouge communiste et par la guerre d’Espagne que plusieurs de ses copains rejoignent.

Sa famille, originaire du Frioul en Italie, est arrivée en France au début des années 1920, comme tant d’autres immigrés antifascistes. Après un passage par le nord de la France, sa famille elle s’installe en 1926 à Argenteuil, dans le quartier Mazagran que l’importante communauté italienne de la ville appelle « Mazzagrande ».

A 14 ans, ce fils d’ouvrier quitte l’école et travaille en usine. Mais sa passion, c’est le foot.

Après avoir excellé dans plusieurs clubs de la banlieue parisienne, il est recruté, au début de la saison 1943-1944, par le Red Star de Saint-Ouen, l’un des plus grands clubs français de l’époque. Mais il ne participera qu’à quelques entrainements. En effet, en février 1943, pour éviter le STO et un départ en Allemagne, il devient clandestin, sans pour autant rompre ni complètement avec sa famille, ni avec le foot. Il participe en tant que membre des FTP-MOI - Groupe Manouchian - à une quinzaine d’attaques contre des nazis, des fascistes italiens, des collaborateurs. Le 21 février 1944 il sera fusillé au Mont Valérien avec ses camarades de l’Affiche rouge.

Aujourd’hui, une rue et un gymnase d’Argenteuil portent son nom. De même, une rue de Saint-Ouen. Une tribune du stade Bauer de cette ville est dénommée « La tribune Rino Della Negra »

Mais une énigme entoure Rino Della Negra que nous explique les auteurs. Comment un footballeur, n'ayant jamais joué un seul match avec le Red Star, a-t-il pu entrer dans le cœur des supporters ? Pour le comprendre, il faut revisiter l’histoire du club : le Red Star est historiquement né et ancré à gauche et aujourd’hui encore dans la « Tribune Rino » du stade Bauer, les supporters entonnent, quand ils le jugent nécessaire, des chants antifascistes et brandissent des banderoles pour dénoncer les violences policières ou pour soutenir l'accueil de réfugiés en France.

Dans la dernière lettre à ses parents, Rino Della Negra écrira : « La plus grande preuve d’amour, c’est de donner sa vie pour ceux qu’on aime. », et dans celle adressée à son frère, il a une pensée pour ses clubs : « Embrasse bien fort tous ceux que je connaissais. Tu iras au Club Olympique Argenteuillais et embrasse tous les sportifs du plus petit au plus grand. Envoie le bonjour et l’adieu à tout le Red Star » ... « Va chez Toni et faites un banquet ».

Mais en fait la dernière phrase caviardée (par la famille ? par un plumitif pudibond du PCF ?) redécouverte par les auteurs du livre est tout simplement : « Et prenez tous une cuite en pensant à moi ! ».



A propos de l'affaire Bastien Vivès - Une réponse au billet  "Cancel culture, non merci !" de Bernard M.


Pour répondre au billet de Bernard M. qui écrit le 27 janvier 2023, « pas plus que je n’ai entendu les propos, parait-il, sexistes et misogynes qu’il a pu tenir sur les réseaux sociaux », je suis désolé de citer des propos, pour le moins nauséabonds, de Bastien Vivès :   

  • « Moi l’inceste, ça m’excite à mort » « J’ai fait un bouquin porno qui s’appelle Les Melons de la colère, dedans il y a carrément des relations sexuelles avec un gamin de 8 ans avec sa sœur et tout ça […] Je peux dessiner ce que je veux, si je veux faire un gamin qui se fait enculer par un lapin, je peux le faire.» (dans une interview à Madmoizelle en 2017 à propos de son ouvrage Une sœur).
  • Il qualifie la dessinatrice Emma « d’abrutie mongolienne » et formule l’espérance suivante : « J’aimerais que son gosse la poignarde, qu’il fasse une BD sur comment il l’a poignardée et qu’il se fasse enculer à chaque like » (en 2017, propos rapporté par Arrêts sur images)

 

Il ne s’agit donc pas de prétendus propos simplement « sexistes et misogynes » (ce qui devrait déjà être suffisant pour se faire une opinion sur leur auteur), et pas uniquement tenus sur les réseaux sociaux, mais aussi lors d’interviews.

 

Utiliser les expressions frappées d’infamie « politiquement correct » ou « cancel culture » (expressions largement reprises en France par la droite et l’extrême droite, ainsi que par le tandem des ex-ministres Blanquer et Vidal), voire « censure » (dans un commentaire au billet de Bernard M.), c’est inadéquat et pour le coup liberticide en empêchant l’expression et la nécessaire confrontation des idées ...

 

  • L'intégralité du billet publié dans GRAINS DE SEL le 31/01/2023 - Lire ICI ou  ICI
  • L'intégralité du billet de Bernard M. publié dans GRAINS DE SEL le 27/01/2023 - Lire ICI


« Pour que la parole se libère »

Préface du livre "Guerre d’Algérie - Engagements et expériences" 


Cahier de l'APA uniquement en ligne pour le moment. D’où son absence de numérotation et son statut de Cahier hors-série. La publication d’une version papier est envisagée courant 2023.


  • Textes choisis et introduits par Véronique Leroux-Hugon
  • Préface de Paquito Schmidt
  • Contribution de Jade Cazorla


"... Pour ce nouveau Cahier, j’ai choisi dans les textes, dont certains récemment déposés, des passages beaucoup plus longs, en cherchant à souligner comment, d’une manière ou d’une autre, leurs auteurs s’étaient engagés dans le combat pour l’indépendance : engagement « forcé » des appelés, engagements politiques, engagements dans le quotidien. J’ai souhaité montrer la richesse et la variété des pages qui nous sont confiées, le travail d’écriture autobiographique qu’on y lit, celui des descendants de ces générations, conscients de l’intérêt des cahiers, des feuillets retrouvés." (Véronique Leroux-Hugon)


  • La préface du livre ICI [Préface de la page 5 à 7, puis l'intégralité du texte de 8 à 94)]

Mon 17 octobre 1961


Il y a quatre jours, j’ai eu 19 ans.  Cela fait plusieurs mois que j’appartiens au réseau Jeune Résistance : je fais de la propagande pour inciter les jeunes à refuser de partir en Algérie, je transporte des documents pour le FLN algérien, etc…

Depuis un mois les Algériens sont contraints d’observer un couvre-feu strict décrété par le Préfet de Police, Maurice Papon.

Malgré ma participation à Jeune Résistance, cloisonnement oblige, je ne suis pas au courant des manifestations décidées par le FLN pour le 17 octobre au soir. J’apprendrai plus tard que plusieurs militants que je connais ont été mobilisés pour ces manifs, certains pour témoigner, d’autres, médecins, pour aider les éventuels blessés pendant les manifestations.

Donc le soir du 17, je suis dans le métro, ligne 12 (à l’époque Porte de La Chapelle – Porte de Versailles et appelée familièrement la Nord-Sud), avec Jean-Pierre, mon copain depuis la communale, pour aller au Quartier Latin, au cinéma le Champo qui projette de vieux films et est, surtout, très peu cher. Nous discutons comme toujours, totalement indifférents à ce qui se passe autour de nous.

Quand le métro entre dans la station Concorde, première stupéfaction. Le quai est rempli d’Algériens, les bras en l’air ou sur la tête, face contre le mur, et de policiers, armés du bâton blanc traditionnel de la circulation, mais aussi du long bâton en bois appelés « bidule » et certains ont même des mitraillettes. ... 



Les derniers - Les dessins des camps

(Shelomo Selinger par Sophie Nahum)

 

 

Pour beaucoup l’œuvre du sculpteur Shelomo Selinger se résume à son fameux monument érigé à Drancy en 1976 pour rappeler le rôle d’antichambre de la mort que fut le tristement célèbre camp de cette banlieue parisienne. Mais à côté de ses centaines de sculptures, Shelomo Selinger a aussi beaucoup dessiné. Son œuvre graphique compte des milliers de dessins essentiellement à l’encre de chine et/ou au fusain.

Malgré les épreuves passées (sa mère, son père et sa sœur cadette assassinés par les nazis, ses neufs camps de concentration, ses deux marches de la mort), il a la vie chevillée au corps. Peut-être aussi parce que la « chance » lui a tout de même toujours souri in extremis :

- il a 14 ans à la liquidation du ghetto de Chrzanow et se retrouve avec sa mère dans le groupe des femmes et enfants promis à l’extermination, quand un policier juif du ghetto lui intime l’ordre de retourner dans le groupe des hommes et de dire qu’il a 18 ans ;

- il doit être pendu, mais il est le dernier et il manque une corde ;

- il doit être battu à mort pour avoir chipé un morceau de papier pour s’en faire une couche supplémentaire contre le froid, mais le kapo, chargé de la punition, lui dit de crier, l’insulte bruyamment, mais se contente de frapper sur les planches et non sur son dos ;

- à la libération de son dernier camp, il est jeté parmi les morts, mais un officier médecin de l’Armée rouge qui passe par là remarque qu’il respire encore et le sauve en le transférant d’urgence à l’hôpital militaire.

 

A côté de pages écrites par sa femme Ruthy et par son fils Rami, le livre « Les dessins des camps » est constitué essentiellement de dessins de Shelomo agrémentés d’extraits d’entretiens réalisés par Sophie Nahum.

 

Comme l’écrit son fils « Mon père exprime l’insoutenable de façon soutenable. C’est peut-être cela, le propre de l’art. Il y a dans ses dessins toujours quelque chose d’humain, des regards, des choses très simples qui nous ramènent à la source de l’être humain ».

 

Sophie Nahum et l’éditeur ont eu la bonne idée de prolonger le livre par 28 vidéos où l’on entend la voix de Shelomo. À 84 ans (les entretiens datent de 2018) l’homme garde une voix jeune, pleine de vivacité et d’humour.

 

Dans sa conclusion Sophie Nahum écrit : « Il tenait absolument, et moi aussi, à ce que l’on voie clairement que la vie, pour lui, avait gagné ».


 


Enfermés au camp de Gurs


Cet article a été rédigé dans le cadre du dossier "Enfermements" du numéro 85 - -octobre 2020.


"Je suis né, le 13 octobre 1942, dans la section carcérale de l’hôpital de Pau. Ma mère, qui était internée au camp de Gurs, y avait été amenée entre plusieurs gendarmes. Après 13 jours à l’hôpital, nous sommes retournés au camp où nous avons encore passé 15 mois, jusque fin janvier 1944...."




« Mourir après le jour des Rois », de Manuel de la Escalera


Note de lecture de Paquito SCHMIDT – 03 mars 2018


Trop longtemps la « transition démocratique » en Espagne, codifiée par une loi de 1977, s’est soldée par l’oubli et l’amnistie pour les responsables des crimes de la dictature franquiste. En 2007 une première brèche est intervenue avec la loi « pour la mémoire historique ». Les familles de victimes pouvaient enfin chercher leurs disparus dans les centaines de fosses communes remplis par la répression franquiste. De nombreux livres sont venus éclairer cette période. Le livre de Manuel de la Escalera, « Mourir après le jour des Rois », publié pour la première fois en Français, participe de ce mouvement de reconquête de la mémoire des vaincus.

« Cette nuit nous avons enfin dormi entre les murs blanchis du cube que l’on nous réserve pour ultime domicile. De là, dans le petit matin noir d’un jour d’hiver, nous passerons, par la fumée des armes, à une autre géométrie, de terre, cette fois ». C’est par cette phrase que l’auteur commence son journal d’un condamné à mort de Franco. ...



"Le jour d'avant", de Sorj Chalandon


Note de lecture de Paquito Schmidt, le 17/09/2017


Voici donc le 8è roman de Sorj Chalandon.


Mis à part son livre « La légende nos pères », ce dernier roman peut être considéré comme le 1er roman non inspiré par des faits autobiographiques. Jusqu’à lors, très souvent, soit ses livres parlaient directement de lui, de son enfance, de son père, soit il inventait un double qui revivait ce que lui-même avait vécu, ressenti, comme par exemple dans « Le traître »

Ici rien de tel puisque les événements se rapportent au 27 décembre 1974 jour où 42 mineurs d’une mine de Liévin meurent dans une catastrophe annoncée. Annoncée car, comme nous le dit un des personnages clef du livre « ce drame n’a rien à voir avec la fatalité.il aurait pu être évité ». Rappelant son propre rôle de contremaître (porion dans les mines) il déclare ; « J’engueulais celui qui perdait du temps à mettre ses gants de sécurité ou à ajuster des bouchons d’oreilles… Pour faire des économies en temps et en personnel, les ventilations, les taffanels, les moyens de protection n’avaient pas été convenablement vérifiés ».


Et pourtant, Sorj Chalandon a vingt-deux ans quand, jeune journaliste à Libération, cet accident minier survient. Il vit donc cette catastrophe par dépêches d’agence, articles de presse et photos interposés. Dans une interview promotionnelle du livre, il rappelle sa « colère noire » quand l’explication officielle et médiatique la plus fréquente à l’époque était « la fatalité ».

C’est cette « colère noire », SA « colère noire », qui traverse tout le livre. Donc pas un livre d’inspiration autobiographique, mais comme dans de précédents romans, on peut dire que le personnage de Michel -comme celui d’Antoine ou de Georges hier- est toujours un peu lui.


Sorj Chalandon ne se veut pas un nouveau Zola, mais tout comme son illustre devancier, il est « journaliste reporter ». Il sait nous faire revivre, sentir, palper la vie des mineurs, le parler des mineurs, la rue des mineurs, les estaminets des mineurs. Pour en arriver là, l’auteur a lu et relu les informations publiées à l’époque, mais il dit avoir également arpenter à pieds de long en large les corons pour humer l’atmosphère, toucher de ses doigts les briques des maisons, fréquenter les bars et discuter avec d’anciens mineurs.


Certaines critiques ont vu deux parties dans ce livre, la deuxième étant, pour eux, un véritable livre policier. Pourquoi pas ? Mais la force du livre, son unité, réside surtout dans l’étude et la description psychologique de Michel Flament au bord de la folie, frère d’un des mineurs tués, meurtrier du porion, tenu, par lui, pour principal responsable de la mort des 42 de Liévin. Résultat un roman bouleversant sur la culpabilité, l’injustice, le questionnement de soi.


Quant au style, Sorj Chalandon reste toujours égal à lui-même : l’écrivain des phrases courtes. L’auteur le met sur le compte de son bégaiement dans l’enfance et de son asthme.




Après nous, de Patrick Fort


Livre de Patrick Fort


Note de lecture de Paquito Schmidt (19 avri 2017)


Après Nous de Patrick Fort est à mi-chemin entre le témoignage authentique et la fiction romanesque. Ce qui en fait un roman, l’ensemble des faits rapportés étant réels, c’est d’une part la reconstitution par l’auteur des pensées et réflexions de son héros dans les derniers mois de sa vie, d’autre part le choix de l’écriture à la première personne.

C’est en effet Celestino Alfonso, militant communiste, fils d’émigrés espagnols, ancien des Brigades Internationales, membre du groupe Manouchian du MOI-FTPF, qui nous parle.

L’action se situe entre le 17 novembre 1943, jour de l’arrestation de Celestino Alfonso et le 21 février 1944, jour de sa mort, fusillé, au Mont Valérien.

Entre ces deux dates nous assistons à la description des interrogatoires musclés  par des policiers français appartenant aux Brigades spéciales. Mais surtout au-delà de la torture physique, ce sont les peurs, les angoisses, les doutes même,   une torture psychologique, insidieuse et inévitable, qui va s’abattre sur lui.

Contrairement à d’autres militants totalement clandestins, Celestino Alfonso a continué à vivre de manière publique pendant l’occupation [1]. Il travaille, vit en famille, et le soir venu il milite. Cette double vie a un coût psychologique et moral très lourd, avec de fortes conséquences sur sa vie familiale, car il est obligé de cacher à sa femme les raisons de ses très nombreuses absences, de lui mentir : sa femme lui reprochera d’avoir une maîtresse, ce qu’il ne peut pas vraiment démentir… car il veut la protéger au maximum en la tenant éloignée de son activité.

Avec Patrick Fort, ce militant rendu célèbre par l’« Affiche rouge » des nazis, mais aussi le poème d’Aragon mis en musique par Léo Ferré, devient un être de chair et de sang, loin des héros dont on utilise parfois le souvenir pour de sordides intérêts partisans [2].

Enfin l’auteur montre que ce militant, responsable de la mort de plusieurs allemands et athée convaincu, conserve toujours son humanité ; humanité qu’il sait reconnaître quand elle se manifeste chez l’adversaire, comme par exemple chez l’aumonier allemand de la prison de Fresnes.


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[1] « Je n’étais pas un membre ‘permanent’ de notre organisation. J’avais une vie ‘à côté’ », page 84

[2] « Missak (Manouchian) avait demandé à la Direction (communiste) de nous transférer dans la zone Sud pour se mettre au vert, le temps que tout se calme .. Mais elle avait opposé un refus… », page 17. Patrick Fort fait allusion ici à la thèse de nombreux historiens pour qui le groupe Manouchian a été sacrifié par le PC dans le cadre des luttes intestines au sein du Conseil National de la Résistance. Avant de mourir, Manouchian accuse " celui qui nous a trahis pour racheter sa peau..., ceux qui nous ont vendus. " Sur l’affaire Manouchian, voir le livre de Philippe Robrieux « L’affaire Manouchian », édition Fayard, 1986 



Les indésirables, de Diane Ducret


Note de lecture - 10 mars 2017


Le premier intérêt de ce livre est de mettre en lumière et de faire vivre un événement volontairement occulté de notre « récit national ». En effet, comment expliquer aux jeunes que des femmes et des hommes aient pu être arrêté.e.s, emprisonné.e.s, puis transporté.e.s pour beaucoup dans des wagons à bestiaux de la SNCF, puis interné.e.s dans une multitude de camps, non pas par le régime de Pétain, mais par un gouvernement issu des élections qui avaient vu gagner le Front Populaire en 1936.

C’est dès novembre 1938, vingt mois AVANT Pétain, que le gouvernement publie un décret-loi concernant « le contrôle et la surveillance des étrangers », apatrides compris. Ce décret décide la création d'une carte de travail pour les étrangers, autorise leur l'assignation à résidence et leur internement dans des « centres spéciaux » pour en permettre « une surveillance permanente »....



« 14 juillet », livre d’Eric Vuillard


Note de lecture  – 05 décembre 2016


Du point de vue d’un historien, ce livre est certainement critiquable.
En effet il est anachronique de tenter l’analogie avec l’intifada palestinienne. Il est hasardeux de comparer Necker et un fameux trader contemporain. Comme il est surtout anachronique, en ce mois de juillet 1789, de plaquer sur les divergences à l’intérieur du Tiers Etat, les futures fractures entre Montagnards et Girondins.
Et il n’est pas vrai que le 14 juillet soit le jour où « le peuple a surgi brusquement, et pour la première fois, sur la scène du monde ». Le « brusquement » est inexact pour une France qui tout au long de son histoire a connu des milliers de mouvements populaires, y compris dans les deux années qui précèdent la prise de la Bastille. Et ce serait aussi oublier les peuples des révolutions hollandaise, anglaise, américaine, corse, qui ont toutes précédé celle de 1789...



Revenir du silence, de Michèle Sarde


Une note de lecture - 8 octobre 2016


Un grand libraire parisien a classé ce livre dans les « romans historiques ». Et pourquoi pas les « romans de cap et d’épée » ? Certes le dernier livre de Michèle Sarde est difficilement classable : livre d’histoire ? biographie ? autobiographie ? Il est tout cela à la fois.
C’est en fait la saga d’une famille de juifs de l’empire ottoman, une partie de ceux qui dès 1492 ont fui l’Espagne des rois « très catholiques », ceux qui parlent l’espagnol de leur pays d’origine et de ces temps anciens, cette langue appelée le « ladino » ou le « judéo-espagnol » ou tout simplement le « judezmo », le juif.
Cette communauté de plusieurs milliers de personnes habite surtout Salonique, la Jérusalem des Balkans, y côtoie des turcs musulmans, des grecs orthodoxes, et même des descendants musulmans des sabbatéens, disciples du rabbin Sabbataï Tsevi, qui, après s’être présenté comme LE messie, s’est converti à l’Islam. La situation des juifs de Salonique évoluera en fonction des événements politiques de la ...



"Une vie brève", de Michèle Audin


Note de lecture - 26 septembre 2016


Pour toute une génération arrivée à la politique à la fin des années 50 (la mienne), Maurice Audin sera « L’Affaire Audin », du nom de ce jeune assistant de mathématiques à l'université d'Alger, âgé de 25 ans, marié et père de trois enfants, militant anticolonialiste du Parti communiste algérien, arrêté par l'armée française le 11 juin 1957, à Alger, puis déclaré mort dix jours plus tard lors d’une tentative d’évasion… En fait il a été torturé, puis assassiné par les parachutistes du général Massu. Toute la vérité sur sa mort n’est pas encore connue, même après les « aveux » tardifs et ignoblement cyniques du général Aussaresses expliquant que c’est lui qui a donné l’ordre de le tuer.
Plus de 56 ans après les faits, sa fille Michèle a voulu rassembler les bribes de cette vie si brève...



De nos frères blessés, de Joseph Andras


Note de lecture - 8 juin 2016


La réussite de Joseph Andras, l’auteur, c’est de ne pas avoir écrit une biographie supplémentaire sur Fernand Iveton, mais un roman, tant par la structure du livre que par l’exploration de la « vraie » vie de Fernand et sa famille.
L’auteur a une écriture très particulière où d’un paragraphe à l’autre on change d’époque, de point de vue, où les flash-back sont nombreux. Au risque de se perdre parfois, cette écriture exige une lecture attentive, surtout pour ceux ou celles pour qui l’ « affaire Iveton », et aussi l’ « affaire Maillot » qui croise la vie de Fernand, n’est pas familière.
Un très beau livre sur Fernand Iveton, militant indépendantiste algérien. Ou plus exactement un très beau livre sur Fernand et Hélène, sa compagne. En effet Hélène est un personnage à part entière, pas ce second rôle souvent dévolu aux femmes des « héros ». A côté de passages rappelant les horreurs de « La Question » d’Henri Alleg, ceux sur Hélène sont lumineux de joie de vivre, de tendresse ...



Clandestine, de Marie Jalowicz-Simon   


Note de lecture - 19/04/2015


« Au-delà de cette histoire singulière, il y a aussi un étonnant portrait de la société berlinoise en guerre, plus bigarrée et plus résistante qu'on pourrait croire. »

Un livre qui nous fait suivre une jeune juive dans sa vie clandestine dans la capitale nazie pendant trois longues années. Dans « Berlin la rouge » des antifascistes, des socialistes, des communistes et même des membres du parti nazi défient le régime, protégeant des juifs en les hébergeant chez les uns et les autres.

Un livre qui fait réfléchir sur les motivations souvent complexes des actions des uns et des autres. Et aussi un livre qui met à mal la monstrueuse « théorie » de la responsabilité collective du peuple allemand.




Les clés retrouvées. Une enfance juive à Constantine, de Benjamin Stora


Note de lecture du 3 juin 2015


Lorsque sa mère décède en 2000, Benjamin Stora découvre, au fond du tiroir de sa table de nuit, les clés de leur appartement de Constantine, quitté en 1962. Ces clés retrouvées ouvrent aussi les portes de la mémoire ou plus exactement DES mémoires.
.Ce n’est pas la première fois que Benjamin Stora raconte des épisodes de sa vie. Dans « La dernière génération d’octobre » (2003), il a raconté son militantisme politique de jeunesse à l’extrême-gauche trotskiste. Dans « Les Trois exils, Juifs d’Algérie » (2006), il place son propre itinéraire dans une histoire générale des Juifs d’Algérie. Mais ici, remontant un peu plus le cours de sa vie, il nous parle de sa jeunesse à Constantine : il n’a pas encore douze ans quand il quitte l’Algérie avec ses parents trois semaines avant l’indépendance...



Et tu n’es pas revenu, de Marceline Loridan-Ivens


Note de lecture du 16 mars 2015


Un petit livre par le nombre pages, mais véritablement un grand livre !
En une centaine de pages seulement, l’auteure traite de la déportation des juifs, de leur extermination, et pour certain(e)s de la vie après leur voyage en enfer. Avec une multitude d’images tirées de sa propre expérience. A quinze ans, sa famille dénoncée, elle et son père sont arrêtés par la Milice française ; ils seront envoyés à Drancy, avant d’être déportés, elle à Birkenau, lui à Auschwitz.
Mais ce livre nous parle aussi de son retour, de l’absence du père qui ne reviendra pas, de la vie après le camp… C’est une lettre à son père, une réponse au petit mot de quelques lignes qu’il lui avait fait parvenir, par l’intermédiaire d’un détenu, soixante-dix ans plus tôt.
Les commentaires de Marceline Loridan-Ivens sont souvent amers, pessimistes. On peut ne pas être d’accord avec elle sur l’Etat d’Israël et sa politique ou les généralisations sur les Arabes. Mais l’essentiel n’est pas là. Ce qu’elle montre, ou à tout le moins, ce que j’ai envie d’en retenir, c’est l’extraordinaire complexité des situations, les raisons de toujours espérer.



L’Homme qui aimait les chiens, de Leonardo Padura


Note du 21 février 2015


L'histoire développe en parallèle la vie d'Iván Cardenas Maturell, un écrivain cubain relégué dans une minable rédaction de province, celle de Léon Trotsky depuis son expulsion d’URSS en février 1929 jusqu’à son assassinat le 20 août 1940 et les tribulations de Ramon Mercader (alias Frank Jackson ou Jacques Mornard) de l’Espagne du Frente Popular au Mexique.
Les faits rapportés dans le livre sont établis historiquement, à l’exception des raisons imaginées de la mort de Ramon Mercader. Ils dépeignent une politique stalinienne criminelle en URSS même avec ses procès truqués, ses exécutions massives, mais aussi en Espagne avec au début la propagande diffamatoire et abjecte contre les autres courants du mouvement ouvrier, puis les assassinats de tous ceux qui s’opposent à la politique de Staline, car tous seraient des « agents de Franco »...




L'expérience, de Christophe Bataille   


Note de lecture du 7 février 2015


Ce petit livre aurait pu s’intituler « Le crime ». Car double crime il y eut. D’abord contre de jeunes soldats utilisés comme cobayes lors des tirs nucléaires français du début des années soixante au Sahara. Puis contre la mémoire, puisque plus de cinquante ans plus tard, malgré des témoignages, des études d’historiens et les aveux d’un Mesmer alors premier ministre, tout a été fait pour en cacher les documents officiels, toujours frappés du sceau « secret défense ».
Mais Christophe Bataille, l’auteur, a préféré le titre « L’expérience », écrivant ce court texte de quatre-vingt pages comme le récit que léguerait, au soir de sa vie, un père à sa fille....


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