Mon père, appelé en Algérie
Livre de Bertrand Tillier - Photographies : René Tillier
Historien des images, Bertrand Tillier propose une approche à la fois intime (ce sont ses propres archives) et plus réflexive et générale sur la guerre d’Algérie. Il se fonde sur les photographies prises par son père, appelé du contingent en Algérie en 1962 et le récit familial. L’historien met en tension la mémoire individuelle exprimée ou tue dans la sphère intime et la mémoire refoulée de l’expérience de guerre.
Les photos envoyées à leurs proches par les jeunes appelés, photographes amateurs pour beaucoup d’entre eux, se conforment à une certaine mise en scène, puisque prises au piège d’un discours précis, national, officiel et médiatique. Elles donnent à voir une réalité choisie, ciblée, lisse, écran à la guerre.
Néanmoins, ces photographies, produites dans un contexte de guerre deviennent en quelque sorte témoignage de l’indicible car vecteurs de « moments de glissement et de débordement où les sentiments, les objets, les expressions du visage échappent d’emblée à toute normalisation ». Remplaçant les mots non dits, elles permettent une transmission d’un passé aux générations suivantes : « Chaque groupe porteur d’une mémoire se dirige vers le miroir qui racontera son histoire » (Benjamin Stora). La valeur des photos des appelés du contingent réside dans ce pouvoir de transmission ; elles constituent un support pour un travail de mémoire et de reconstitution, aussi partiel soit-il, tentant de rompre le silence ; regarder ces photos est une « modalité de communication dans les familles » (Raphaëlle Branche). Retrouvant les photos de son père dans une pochette, Bertrand Tillier, historien des images, met ainsi en lumière le rôle des générations postérieures dans la construction de la mémoire familiale.
Grâce à la curiosité d’un fils historien pour les photographies de son père, ce texte dévoile comment, derrière l’objet photographique témoin d’une histoire dans l’Histoire, se lisent des souvenirs, un passé, une mémoire personnelle, familiale mais aussi commune et collective.
Odile l'été
Livre d'Emma Becker
« Odile et moi, petites filles, courons dans le maquis qui entoure sa maison, elle habite à l’époque dans cette même grande villa à Cavalaire. Nous disparaissons des heures à la recherche d’un semblant de grotte planquée derrière un buisson de lentisque, une lampe torche à la main, et c’est là, pour la première fois, que nous inventons ce jeu qui nous tiendra en haleine jusqu’à la fin de notre adolescence – le petit copain et la petite copine. Au début, ces explorations n’interviennent que dans notre caverne ; l’obscurité et la fraîcheur nous préservent de ce que nous sommes en train de faire plus que du regard possible des autres. C’est une bulle dans laquelle nous nous fondons des heures entières, avant de ressortir comme si rien ne s’était passé, comme si nous venions de faire une partie de ballon, et nous n’en reparlons jamais, jusqu’à la fois d’après. »
La romancière Emma Becker, (La Maison, 2019, Flammarion, prix des étudiants France Culture-Télérama et L’Inconduite, 2022, Albin Michel), nous livre avec Odile l’été un récit initiatique aussi immoral qu’électrisant sur le thème du rapport de force et de la domination.
Dirigée par Vanessa Springora, la collection « Fauteuse de trouble » articule intimité et émancipation, érotisme et féminisme, corps et révolte, sexuel et textuel.
Pur sang
Livre de Franck Bouysse
Sous un ciel de crépon, ils pénétrèrent dans la forêt. Une forêt qui était toutes les forêts à la fois ; là où le sacrifice n’ était pas un vain mot et où la mort était féconde.
Elias a grandi à Eden Creek dans le Montana. Élevé par un couple d’Indiens descendant de la tribu des Rêveurs, il croit son destin lié à ce monde. Mais avant de mourir, pour s’alléger d’un poids trop lourd, Mama Tulssa lui fait une révélation qui va bouleverser le cours de son existence.
Elias s’envole alors pour la France où l’attend une terrible vérité, le secret de ses origines.
Femmes de lutte et d’écriture
Livre de Mildred Mortimer
Malgré leur participation active à la lutte anticoloniale, la contribution des Algériennes à l’effort de guerre n’a jamais été pleinement reconnue. Mildred Mortimer tente de réparer cette amnésie, en étudiant l’œuvre d’écrivaines racontant leur expérience de la guerre dans des autobiographies ou des fictions. A l’écoute de Djamila Amrane-Minne, Assia Djebar, Yamina Mechakra, Maïssa Bey, Leïla Sebbar, Zohra Drif, Louisette Ighilahriz, Evelyne Safir Lavalette, l’essayiste américaine rompt le silence et délivre un message d’espoir : l’écriture est un combat qu’il faut poursuivre.
Dictionnaire de la guerre d'Algérie
Livre de Sylvie Thénault, Ouanassa Siari Tengour et Tramor Quemeneur
Soixante ans après les accords d'Évian paraît le premier dictionnaire consacré à la guerre d'Algérie, rédigé par les meilleurs spécialistes de la période, algériens et français.
"Soixante ans après la fin de la guerre d'Algérie, les enjeux mémoriels liés à l'histoire de ce conflit ont alimenté autant de débats que de controverses. La recherche historique n'a cessé de progresser durant cette période. Mais il manquait un ouvrage d'une ampleur suffisante pour permettre, dans un contexte resté passionnel, de traiter du sujet sous tous ses angles, en puisant dans une bibliographie désormais abondante et en se fondant sur les acquis de la recherche, avec le souci d'objectivité et d'exigence intellectuelle qui seul peut aider à faire progresser la connaissance.
Cet ouvrage, le voici. Le fruit d'un long travail qui réussit à embrasser sans tabou l'ensemble des thèmes et des données à la fois militaires, politiques, sociologiques et intellectuels liés au dernier épisode de la période coloniale. L'un des mérites de ses maîtres d'œuvre, Sylvie Thénault, Ouanassa Siari Tengour et Tramor Quemeneur, est d'avoir su regrouper autour d'eux des historiens et chercheurs de provenances multiples, de convictions diverses et parfois opposées. Là où les mythes l'emportent encore trop souvent sur la vérité des faits, cette pluralité des approches était non seulement nécessaire mais indispensable au crédit d'une telle entreprise.
Événement éditorial, ce Dictionnaire, par son ambition et sa richesse exceptionnelles, répondra aux légitimes attentes de tous ceux qui, sur les deux rives de la Méditerranée, n'aspirent qu'à mieux comprendre l'histoire complexe de cette guerre." Jean-Luc Barré
Marie-Hélène Lafon : De la source vive à la création
Livre de l'ARDUA [l'Association Régionale des diplômés d’Université Aquitaine a été fondée il y a vingt et un an par Yolande Legrand. Elle est dirigée aujourd’hui par Gérard Peylet. Elle possède un site].
Marie-Hélène Lafon est issue d’une famille d’agriculteurs du Cantal. Professeure de Lettres à Paris, elle est demeurée viscéralement attachée à sa terre natale et à ses habitants, qu’elle s’emploie à faire revivre au fil d’une œuvre singulière. Ses romans, suivis par un lectorat fidèle, ont été récompensés par des prix littéraires, depuis le premier, Le soir du chien (2001, Prix Renaudot des lycéens) jusqu’au plus récent, Histoire du fils (2020, Prix Renaudot).
L’ensemble forme une suite, une sorte de fugue dont les variations éclairent les rapports familiaux dans un monde paysan menacé de disparition. Par une écriture précise, incarnée et imagée, parfois teintée d’humour, la romancière excelle à évoquer les sensations liées au pays, à rendre corps et voix à ces derniers Indiens. Mais la dimension sociologique, ethnologique même, de l’œuvre, le cède à l’universalité de grands thèmes humains portés par un imaginaire puissant : le cycle de la vie et de la mort, la perte et la mémoire.
La Grande Maison
Livre de Danièle Pétrès
« Il prend ma main, je prends la sienne. C’est une main veloutée, sombre, dont les lignes à l’intérieur sont profondes. Il y a dans l’air ce léger parfum blanc qui émane des coques de marronniers que nous foulons. Ce léger parfum oriental qui émane de son costume ou de la lumière du boulevard, je ne sais pas. »
On ne quitte pas la Grande Maison. On l’aime d’amour. Un sortilège que seul, peut-être, un autre amour peut vaincre.
Marie Cosnay - Traverser les frontières, Accueillir les récits
Livre sous la direction de Stéphane Bikialo
Un ouvrage collectif de création/recherche sur et avec Marie Cosnay
Marie Cosnay est professeure de lettres classiques, traductrice de textes antiques, écrivaine et activiste pour l’accueil des migrants. Invitée du festival Bruits de Langues en 2019, elle rejoint ponctuellement les éditions L’Ire des marges pour la publication de Nos corps pirogues en janvier 2022.
Sa recherche tant documentaire que littéraire – ces deux aspects étant indissociables – en faisait l’autrice rêvée pour tenter cette expérience d’une nouvelle collection de critique littéraire.
Une petite équipe, Stéphane Bikialo, Warren Motte, et Pierre Vilar (universitaires, spécialistes de littérature contemporaine), Alain Nicolas (responsable des pages littérature de L’Humanité) et Jane Sautière (publiée aux éditions Verticales), s’est lancée de manière totalement libre dans les échanges avec Marie Cosnay : l’enjeu était de la faire réagir à des réflexions, des analyses sur son oeuvre et de dialoguer avec elle sur des questions que les chercheurs, le journaliste, l’autrice se posaient sur sa démarche d’écriture.
« La littérature est assaut contre la frontière » (Kafka)
L’ensemble des contributions a été recomposé autour d’enjeux centraux de l’écriture de Marie Cosnay : les lieux, le rapport à l’histoire et au présent, le travail d’enquête et les commentaires sur le livre en train de se faire… avec en arrière-plan, toujours le récit et la frontière ou la nécessité de faire du récit sans ou contre les frontières.
Marie Cosnay a besoin du récit, du récit comme lieu d’accueil, d’hospitalité, du récit aussi comme lieu de recherche. Ces récits de ou sans frontières sont pour elle à la fois une nécessité et une responsabilité.
Les hospitaliers
Livre de Franck Magloire et Caroline Girard
Ce récit choral et intimiste s'inscrit dans une actualité brûlante et met en voix la réalité des personnels qui oeuvrent au sein de l'hôpital : un quotidien caractérisé par la nécessité de pallier une pénurie chronique de moyens matériels et humains.
Une situation au bord de l'implosion mise en lumière et exacerbée par la pandémie de covid.
Depuis quinze ans, Caroline Girard intervient dans plusieurs hôpitaux parisiens avec La Liseuse, compagnie de lecture à voix haute qu'elle dirige. À la demande d'une soignante, elle a recueilli la parole de nombreux personnels hospitaliers ébranlés physiquement et psychiquement par cette crise larvée et cette pandémie sans précédent.
Elle s'est associée à l'écrivain Franck Magloire pour qu'ensemble ils donnent à entendre ces voix dans toute leur diversité et leur complexité. De ce geste à la fois littéraire et politique, est née l'écriture de ce livre.
L'hôpital ne se réduit pas au monde des soignant.es ; il incorpore aussi des métiers méconnus et des travailleurs de l'ombre : logisticien, agent de traitement des déchets, agente de la chambre mortuaire...
C'est à partir de 35 témoignages, de 70h d'enregistrement audio, et sans jamais trahir la parole recueillie que les deux auteurs ont composé cette fresque polyphonique, réalisant un travail de réécriture, de montage et d'assemblage pour aboutir à un récit sensible, fluide et littéraire.
Récit qui se présente comme une mosaïque de voix, portées par un flux unique évoquant la justesse du choeur antique.
Variant les rythmes et les tonalités, les auteurs sont parvenus à restituer toute une palette d'émotions et de sentiments, le rythme haletant et oppressant des journées de travail qui n'en finissent pas, l'urgence des gestes à réaliser qui ne laisse plus de place à la réflexion, la crainte de ne pouvoir faire face, mais aussi et surtout la passion de soigner. L'évocation de tranches de vie plus intimes offre au récit des respirations inattendues. En outre, il n'exclut ni l'humour, ni le rocambolesque. Le lecteur découvre des portraits sensibles et vivants de femmes et d'hommes mus par un engagement sans faille.
Les gens ont toujours l'impression que l'hôpital tient, mais en fait l'hôpital ne tient pas. Qu'est-ce qui faisait qu'avant on criait déjà ? s'interroge un soignant. L'hôpital public est depuis trop longtemps en sursis, sa mission ne perdure qu'au prix du sacrifice de ses agent.es.
Les hospitaliers est un hommage à leur combat quotidien
Les nôtres
Livre d'Elisabeth Poretski
(réédition)
Il s’appelait Ignace Reiss, Steff Brandt, Hans Eberhardt et quelques autres noms d’emprunt rendus nécessaires de par son activité : agent des services secrets de l’Armée rouge. Sa femme, Elisabeth Poretski, raconte l’histoire tragique de cet homme, né sous le nom de Nathan Markovitch Poretski, espion soviétique influent en Europe jusqu’à sa rupture avec Staline en 1937. Celui qui dans son ultime lettre au « Petit père des peuples » revendiquait un autre socialisme, plus authentique, fut retrouvé assassiné un mois plus tard, en août 1937, dans une rue de Lausanne. Une mort orchestrée par les siens.
Le récit historique que relate Elisabeth Poretski montre quelle fut la vie de cet homme et de ses proches, qui ont longtemps cru en leurs idéaux avant de les voir dépérir devant leurs yeux. Les nôtres évoque les enjeux d’une époque, pas encore révolue, marquée par l’affrontement idéologique de deux blocs qui se mettent en place.
Victor Serge, dans un puissant hommage, voit dans cet épisode historique un élément avant-coureur de «la sanglante corruption du régime stalinien [qui] gagne le mouvement ouvrier et les intellectuels avancés d’Occident».
Journal d'une invasion
Livre d'Andreï Kourkov
« Au début, nous ne comprenions pas ce que c’était que la guerre. »
Alors que les forces russes envahissent l’Ukraine et que la guerre devient une réalité dévastatrice, en février 2022, Andreï Kourkov tient une chronique au jour le jour. À la fois journal personnel et commentaire politique et historique, ce texte explore les relations entre l’histoire ukrainienne et l’histoire russe, mais aussi entre les deux langues du pays. En décrivant comment une société pacifique fait face à l’occupation, l’auteur nous montre une culture qui, contrairement aux affirmations de Poutine, est singulière et démocratique, libérale et diverse – une culture qui « résistera jusqu’à la fin ».
Avec son regard aiguisé sur les événements et son amour des gens, Kourkov dresse le portrait d’un peuple uni dans la lutte contre sa disparition. Le pain est cuit et partagé dans les ruines. Un homme amputé trouve une place dans un train d’évacuation, des grand-mères fuient les villes occupées avec leurs coqs sous le bras… Et malgré tout, l’espoir reste le plus fort : des enfants naissent dans les caves, les fermiers cultivent leurs champs malgré les mines et les bombardements.
Dans son journal, Kourkov entrelace son histoire personnelle avec celle des autres Ukrainiens déplacés, et des communautés qui leur viennent en aide avec une générosité extraordinaire. Ensemble, ils attendent le moment où il sera possible de rentrer chez eux en sécurité.
Marcher jusqu'au bout du monde
Livre de Mariange Mahy
Mariange travaille dans un centre de crise pour toxicomanes. Déjà épuisée par son travail, elle apprend qu'elle a un cancer. Puis, c'est la rupture avec son compagnon. À cinquante-huit ans, elle décide alors de marcher jusqu'à Saint-Jacques-de- Compostelle et fait mille kilomètres en solo. En chemin, des souvenirs parfois très douloureux émergent. La beauté des paysages et des rencontres oeuvre à les mettre à distance. Et puis vient cette prise de conscience qui va changer sa vie de femme! C'est l'histoire de ce cheminement qu'elle a consigné dans ce carnet de voyage.
Comment sortir de ce monde
Livre de Marouane Bakhti
Comment sortir du monde nous rappelle les textes emblématiques d'Annie Ernaux, d'Edouard Louis ou plus récemment de Fatima Daas ("La Petite dernière"). Un premier roman virtuose, "une bombe littéraire", selon Diaty Diallo, sensation de la rentrée 2022. " Le territoire d'où je suis né n'a aucune capacité à nous propulser dans le monde. Le territoire duquel je suis apparu, il tue les rêves, mange les aspirations. C'est une zone aplanie, morne, mais verdoyante par endroits. " Comment sortir du monde, c'est l'histoire d'un jeune homme en colère. Hanté par une seule chose : fuir. Comment sortir du monde, c'est l'histoire d'un hybride, un différent, un déraciné. Comment sortir du monde, ce sont des traversées : de la forêt à la ville, de Paris à Tanger, des applis de rencontre à la découverte des sentiments.
Le Parc aux roseaux
Livre de Thuân
Fin des années 2000, une jeune Vietnamienne rentre à Saïgon après avoir passé dix ans à Paris. En arrivant les souvenirs de son vécu dans la capitale française se conjuguent à la redécouverte de son peuple et des siens. La jeune narratrice, libre, lucide et critique à la fois, porte ainsi sur son époque, sur la condition féminine comme sur son avenir amoureux et professionnel un regard d’une singulière richesse. Plume acide et loin des clichés, touche d’absurde et esthétique de l’ironie, autant d’éléments qui caractérisent ce roman tout en humour pour finalement mettre en lumière les liens anciens, souvent caustiques, toujours ambigus entre les Français et les Vietnamiens d’aujourd'hui.
Livre de Marek Edelman
2 octobre 2009, Varsovie. Marek Edelman s’éteint. Figure de l’opposition au régime communiste polonais, il est célèbre d’abord pour avoir été l’un des dirigeants du soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943. Membre du Bund, le mouvement socialiste des travailleurs juifs, il participe à ses publications clandestines. Quand les nazis décident de liquider le ghetto, il fait partie de ceux qui se savent condamnés mais ne veulent pas mourir sans combattre. Une poignée d’hommes contre une armée.
Marek Edelman ne posait pas au héros. « Nous avions décidé de mourir les armes à la main. C’est tout. C’est plus facile que de donner ses habits à un Allemand et de marcher nu vers la chambre à gaz. » Juif non religieux, non sioniste, c’était un éternel insoumis. Il avait publié en 1945 un récit sur le ghetto et son soulèvement, puis des entretiens.
Le jour de son enterrement, ses enfants, Aleksander et Ania Edelman, retrouvent dans son appartement trois carnets, où il avait consigné à la fin des années 1960 des souvenirs du ghetto, sans aborder le soulèvement.
Ce sont ces carnets retrouvés que nous publions ici, avec un appareil de notes et d’annexes permettant la compréhension de ce document exceptionnel.
Édition établie par Constance Pâris de Bollardière, historienne spécialiste du Bund et des rescapés de la Shoah, directrice adjointe du George and Irina Schaeffer Center for the Study of Genocide, Human Rights and Conflict Prevention (The American University of Paris).
Par la fenêtre
Livre d'Allain Glykos
Qui est réellement Philippe, étudiant en philosophie et fils d’un immigré arrivé en France à la fin les années 1930 ? Où a-t-il disparu pendant de longues années ? À partir de la photo d’un moment tragique de sa petite enfance se croisent les souvenirs de ceux qui l’ont connu à différentes périodes de sa vie. Tandis que se succèdent les voix de ses parents, de son meilleur ami étudiant ou de ses voisins, s’esquisse le portrait kaléidoscopique d’un transfuge de classe passionné, mystérieux et hanté par ses démons. Mais alors que les points de vue se confrontent, c’est aussi la fluctuation des souvenirs et les zones d’ombre d’existences passées qui sont mises en lumière. De même que la prégnance des non-dits lorsque se croisent la petite et la grande histoire, en l’occurrence la Seconde Guerre mondiale…
Kafka, le temps des décisions - Tome 1
Livre de Reiner Stach
Kafka demeure aux yeux de beaucoup un visage amaigri au regard enflammé, une vague silhouette qui rôde à l’ombre de son œuvre, ou le nom d’une angoisse. On oublie quelquefois qu’il fut avant tout écrivain, et l’on ignore presque qu’il fut aussi un homme.
La monumentale trilogie biographique de Reiner Stach accomplit le prodige de ramener Kafka à la vie, de restituer l’effervescence intellectuelle de la Mitteleuropa à la charnière des xixe et xxe siècles.
Avec vigilance et rigueur, elle redonne corps et dimensions à une existence qui a, comme les textes, trop donné lieu à la spéculation. Ce premier tome couvre les années 1910-1915. Des années où Kafka écrit tour à tour Le Verdict, La Métamorphose, Le Disparu (Amérique) et Le Procès, et où sont posés, coup sur coup, des jalons décisifs pour la suite de son parcours : lourdes responsabilités professionnelles, redécouverte du judaïsme, premières publications, catastrophe de la Grande Guerre, et surtout rencontre, correspondance, fiançailles et rupture avec Felice Bauer.
Un ouvrage fascinant, à la fois récit d’une vie, livre d’histoire et essai critique, mené avec un rythme et une sensibilité de romancier.
Autobiographie - Mémoires d’une recluse
Livre d'Elisavet Moutzan-Martinengou
Née en 1801 sur l’île grecque de Zakynthos au sein d’une famille d’aristocrates, Elisavet Moutzan-Martinengou est, en raison de son sexe, condamnée à un double enfermement : cloîtrée entre les quatre murs de la demeure familiale, elle se retrouve également privée de toute véritable éducation. Pourtant, elle n’a de cesse de s’opposer à la vie corsetée que sa famille lui réserve. C’est dans la lecture et l’écriture qu’elle trouve très tôt refuge, tissant inlassablement les contours d’un vaste continent intellectuel, pour repousser toujours plus loin les frontières de son foyer. Près de cent ans avant Une chambre à soi de Virginia Woolf, Elisavet Moutzan-Martinengou se forge un destin bien à elle : celui d’une écrivaine déterminée à conquérir sa liberté. Ses mémoires, uniques en leur genre, participent à contrecarrer l’effacement qu’ont connu et que connaissent encore les femmes à travers l’histoire.
Souvenirs en archipel - Eclats de mémoire
Livre de Robert Guyon
Après une carrière universitaire classique (il a été élève à l'École Normale Supérieure de Saint-Cloud) mais faisant de sa vie une œuvre comme « poète au long cours », Robert Guyon a tiré sa révérence. Il s'était affirmé précocement dans l'écriture par nombre de poèmes essaimés dans d'éphémères revues et par quelques textes de mémoires, fruit de ses années à « bourlinguer » (hommage à Blaise Cendrars) vers l'Amérique latine, son terrain d'adoption pour quelques traversées maritimes aussi importantes que les stations d'enseignement qu'il y fit dans quelques centres français, à Santiago et Mexico, avant Thessalonique. En retraite à Lyon, il s'attacha à marquer, avec ces Éclats de mémoire, les pièces émergentes de l'archipel qui, plus qu'un parcours chronologique, sont pour lui comme les pièces d'un puzzle. Ce recueil est la somme de ces arrêts sur images, depuis l'enfance jusqu'à la maturité. Ils constituent son dernier acte littéraire, désordonné et cohérent, à propos des choses importantes de la vie sur quoi il s'est appuyé.
Les arrangements de la mémoire - Autobiographie d'un psychiatre dérangé
Livre de Jacques Hochmann
Jacques Hochmann croit à « l’importance du récit intérieur dans la constitution de l’identité ». Il défend une psychiatrie humaniste, nourrie de psychanalyse, refusant de réduire la souffrance psychique à des facteurs neurobiologiques et comportementaux. Selon lui, la tâche du psychiatre est de comprendre la déraison apparente de ceux qu’on appelait autrefois les fous en lui donnant un sens et des raisons. Chaque histoire est singulière : pour soigner, il faut du sur-mesure.
L’ouvrage illustre ce parti pris : plutôt qu’un traité abstrait, il propose un récit biographique, reliant les expériences de l’homme aux pratiques et aux choix du psychiatre, et retraçant l’évolution de sa discipline. C’est à la fois le roman d’une vie et une traversée de la psychiatrie, marquée par les années de formation dans les institutions quasi carcérales des années 1950-1960, puis par la découverte de Palo Alto et des idées libertaires d’une Amérique alors ouverte à toutes les expériences.
Au fil des pages, avec des portraits très personnels – de théoriciens comme Carl Rogers ou de patients –, et au gré des tentatives pour faire évoluer les pratiques, on voit à l’œuvre cette psychiatrie respectueuse des gens, soucieuse de réintégrer la folie dans le cadre d’une humanité pleine et entière plutôt que de la rejeter vers l’aliénation ou la dégénérescence.
Une (auto)biographie magnifiquement écrite. Un grand manifeste humaniste.
Sucre, journal d'une recherche
Livre de Dorothee Elmiger
Guidée par l’ascension sociale aussi fulgurante qu’éphémère d’un ouvrier devenu millionnaire, Dorothee Elmiger mène une enquête minutieuse et vorace. De la Suisse à Saint-Domingue, de Saint-Nazaire à Montauk et Philadelphie, elle déplie l’histoire coloniale européenne en interrogeant notre relation à l’autre, au désir, au pouvoir, à la faim, à l’argent. En quête d’un chemin lumineux, elle nous confie le journal de sa recherche, qui juxtapose images, citations éclectiques, bribes de rêves, extraits de films et conversations avec des proches. Le lecteur, grisé, ressort de cet essai-fiction avec un regard sur le monde plus intuitif et plus attentif.
Vaisseau fantôme
Livre d'Olivier Barrot
En mars 2020, au début de l’épidémie de Covid, Olivier Barrot embarque comme conférencier à bord du navire le Zaandam pour une croisière de luxe en Amérique du Sud. Alors qu’arrivent du monde extérieur des nouvelles de plus en plus inquiétantes, on déplore bientôt plusieurs victimes à bord, et de nombreux malades. La tension s’installe, les passagers se voient strictement confinés dans leurs cabines, le bateau n’obtient le droit d’accoster dans aucun port. Condamné à errer sans but, cabotant de la Patagonie au canal de Panamá, qu’il franchit clandestinement, le Zaandam défraie la chronique dans le monde entier.
Entre grands espaces et huis clos, avec séquences dramatiques et scènes burlesques, l’auteur raconte ce singulier voyage à la fois géographique et intérieur, véritable aventure humaine aussi bien rêvée que vécue.
Réveiller ma mère
Livre de Nathalie Ohana
Alors que sa mère est plongée dans le coma, l’autrice trouve, pour la première fois, le courage de lui parler et d’assumer qui elle est.
Un jour, une jeune femme reçoit un appel de son père ; au milieu de la confusion et des mots qui sortent dans le désordre, elle comprend, et son monde s’effondre : sa mère est à l’hôpital, dans le coma.
Précipitamment, elle quitte tout pour venir à son chevet et, avec une tendresse qu’elle n’a jamais eue, tente de la réanimer. Pour la première fois de sa vie, elle trouve le courage de s’exprimer réellement et d’être elle-même face à cette femme qui l’a tellement aimée qu’elle ne l’a jamais vraiment vue.
Ce récit est comme le chant d’amour d’une fille à sa mère, qui conduit dans le labyrinthe du deuil sans pathos mais avec beaucoup de poésie.
La Nageur
Livre de Pierre Assouline
Jusqu’où un homme ayant affronté le mal absolu peut-il aller pour ne pas s’effondrer, surmonter sa souffrance et se projeter à nouveau vers l’avenir ? Le Nageur retrace le destin exceptionnel d’Alfred Nakache.
Né à Constantine, tôt devenu champion de France et d’Europe avant d’être sacré recordman du monde, ce sportif de haut niveau fut sélectionné pour représenter la France aux Jeux olympiques de Berlin en 1936 puis à ceux de Londres en 1948 ; mais entre les deux il connut l’épreuve suprême d’une vie. Dénoncé par un rival comme juif et comme résistant à la Gestapo toulousaine, il fut déporté avec sa jeune femme, Paule, et leur petite Annie. D’Auschwitz à Buchenwald en passant par la marche de la mort, il survécut grâce à une volonté et une constitution athlétique hors du commun. Mais à quel prix ?
Offrant une époustouflante traversée du siècle, Le Nageur est le récit d’une existence tendue vers un but : l’excellence et le dépassement de soi. Et surtout, en toutes circonstances, tenir, se tenir, résister. Une leçon de vie.
Le zéro et l'infini
Livre d'Alfred Koestler (réédition sur la base du manuscrit original retrouvé en 2015)
Lors des purges staliniennes des années trente, Roubachov, un ancien responsable du régime soviétique, se retrouve dans les geôles de Staline. Au fil des interrogatoires effroyables avec un de ses anciens adjoints, ce cadre fidèle au Parti est pris au piège d’une idéologie barbare et intransigeante dont il a été l’un des instigateurs.
Car dans un État communiste – chaque citoyen le sait – l’individu est zéro, et le Parti est l’infini. À présent, Roubachov doit faire un choix : obéir aux ordres ou suivre sa raison au péril de sa vie.
Ce chef-d’oeuvre de la littérature du XXe siècle brosse un portrait incisif et sans fard de la conscience de l’homme sous un régime totalitaire. Plus de soixante-dix ans après sa première publication en France, Le Zéro et l’Infini est enfin traduit d’après le manuscrit original, retrouvé en 2015.
Cette nouvelle édition d’un des plus grands textes sur la violence politique marque un événement littéraire majeur.
Quand j'étais juif
Ce livre est le récit de quatre ans de la vie d’un jeune garçon, fait Juif par l’administration à douze ans, qui devenu adulte, recherche un sens à cette assignation qui changea le cours de sa vie.
Dès 1940, l’administration et la police française appliquent avec zèle les directives allemandes et marquent les Juifs comme des parias.
Maurice Rajsfus découvre alors qu’il est juif. Ce qui pour lui n’était qu’une tradition d’une famille lointaine restée en Pologne, devient une réalité qui changera le cours de sa vie. Cette décision administrative lui prendra ses parents et son innocence.
Ce livre, introspectif et combatif, est sa tentative pour reconstruire son identité, celle d’un « déserteur du judaïsme » qui ne peut s’empêcher d’être ému par le yiddish et qui se rendra jusqu’au village de sa mère pour se sentir Juif, deux heures dans sa vie.
Paris, boulevard Voltaire - suivi de Ponts
Livre de Michèle Audin
« Sur le boulevard Voltaire, il y a des constructions, des actions, des objets, lacrymos, baïonnettes, banderoles, canons, mégaphones, affiches, choses, bidules, films, flippers, clous, enseignes, foulards, tracts, drapeaux, guillotines, huîtres, autobus, et surtout des femmes et des hommes, cantinières, rapatriés, maraîchers, gardes, casquettiers, patrons, ébénistes, déportés, charpentiers, blanchisseuses, plombiers, empereurs, enfants, institutrices, poètes, rois, soldats, policiers, pompiers, concierges, fous, couturières, grisettes, artisans, otages, fusillés, ouvriers, ivrognes, et même des lions. »
Pour écrire leurs histoires, Michèle Audin s’est arrêtée à quatorze adresses du boulevard. Lieux de drames, de révoltes, et également de souvenirs personnels et intimes dont elle retrouve, par le travail de l’écriture, l’impalpable intensité.
Autre traversée, ce récit est suivi de trente-cinq poèmes, chacun consacré à un des ponts qui permettent de franchir la Seine à Paris.