Ecrits de Régine de La Tour
L'amitié du poème
Un article de Régine de La Tour à propos du dossier sur la poétesse Diane Régimbald paru dans la revue LQ (Lettres Québécoises) n° 186 - Automne 2022
"Au Québec, la revue de référence en matière de critique littéraire s’intitule LQ pour Lettres Québécoises. LQ aura bientôt un demi-siècle et sa mission « est de promouvoir la littérature contemporaine grâce à une revue de qualité qui contribue à son rayonnement ». « Nous croyons qu’il en va de la vivacité et du dynamisme du milieu des lettres ». Lettres Québécoises entend « garder vivante une tribune où la littérature québécoise se pense et se fait ». LQ parait quatre fois par an. Une fois par saison en somme.
J'ai un attachement tout particulier pour ce numéro d’automne. Le dossier est consacré à la poète Diane Régimbald, souvent présente dans les pages de Le Dire et l’Ecrire. Diane, l'amie rencontrée pour la première fois au Festival de Poesia de la Mediterrània, à Majorque en 2016. ..."
Le festival de poesia de la mediterrània a été créé à Palma de Majorque en 1999 par le poète Biel Mesquida sous les auspices du Conseil de Majorque.
Après une année, contraint comme tout le monde par la pandémie, le festival avait pris une forme différente, à distance, en ligne. Cette année, c’est la 23e édition retour maintenant à la poésie en direct.
♦ Pour tout savoir sur ce festival : https://www.festivalpoesiamediterrania.cat/
♦ Voir aussi le FACBOOK du festival
Le 25 novembre 2021
« Demain, j’ouvrirai la porte, je dévalerai l’escalier et j‘arpenterai les rues, le nez en l’air, je sauterai à cloche pied sur les restes d’une marelle dessinée sur le trottoir.
Demain, je marcherai le long d’un fleuve, j’emprunterai un chemin de halage, je suivrai une péniche et je finirai par arriver au bout d’un canal, au tout début de la mer.
Changer de rive.
Retrouver le bleu qui s’évade, les murs de pierres sèches et les vergers de citronniers et d'orangers.
Retrouver les voix des poètes, entonner ce long chant qui, depuis l’an mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, repoussent tous les autres bruits du monde.
Voix connues et voix émergentes, dans la rumeur de toutes les langues de la Méditerranée et d’ailleurs, à voix haute, à voix basse, à voix grave, à voix rauque, à voix douce, à voix blessée, à voix vive révèleront une fois encore le détail du monde.
Retrouver l'ile des poètes, les amoureux de la poésie, Biel Mesquida
Retrouver le XXIIIè festival de poesia de la mediterrània à Palma, Majorque.
Poesia es salut, poésie est santé.»
Contribution à la plaquette "FRANCHIR LE TEMPS DU CONFINEMENT" (mai 2020)
Mardi 2020
Darius a oublié le futur. Darius ne sait plus conjuguer les verbes au futur. Darius a aussi oublié l’imparfait. Et maintenant, Darius demande si le passé simple est une langue morte. Darius ne connait plus que le présent.
Et moi, Darius, je le comprends tellement bien.
On fait comment pour franchir le temps quand on ne connait que le présent ?
Le temps s’est arrêté. C’était un mardi je crois. La terre s’est arrêtée de tourner. Vous n’y croyez pas ? Mais si, si, c’est vrai. Et Darius lui aussi le sait.
Alors forcément, depuis ce jour-là, on est toujours un mardi. Et mercredi n’est pas encore revenu. Mercredi ne vient pas. Mercredi ne vient plus. Et pourtant le soleil se couche tous les soirs et le soleil se lève tous les matins. Mais demain est toujours aujourd’hui. ...
Lampedusa, Lampedusa
Par Régine de La Tour (le 09/10/2017)
La perspective de la journée internationale des migrants le 18 décembre est l’occasion de redonner de la visibilité à des textes littéraires sur le naufrage du jeudi 3 octobre 2013 et plus largement sur les migrations forcées. Ce jeudi-là, une embarcation transportant environ 500 migrants sombre entre Europe et Afrique, au large de l’île italienne de Lampedusa. La catastrophe fait 366 morts. A l’époque, c’était probablement le drame en mer le plus important du XXIe siècle en Méditerranée. Depuis, combien d’embarcations ont chaviré, combien de migrants sont morts ? Combien de camps « d’un autre monde » en Europe, en Afrique, en Asie ?
« Etranges étrangers » [1], « venus des hauts plateaux, incendiés par la guerre, écrasés de soleil. Les fourmis silencieuses. Fouettées par la poussière, dévorées par le sel » [2] partis pour des Croisières Méditerranéennes [3] de Lybie, d’Erythrée, de Somalie…
à ce stade de la nuit de Maylis de Kérangal. A l’origine, il s’agissait d’une commande pour les rencontres littéraires de la Fondation pour l'Action Culturelle Internationale en Montagne. Le thème : écrire le paysage. Un exercice de style, une figure imposée. Mais la commande s’est rapidement ancrée dans la réalité. C’est la nuit, à la radio, elle entend qu' « un bateau venu de Libye, chargé de plus de 500 migrants, a fait naufrage à deux kilomètres des côtes de l'île de Lampedusa ; près de trois cents victimes seraient à déplorer ». Lampedusa, ce sera Lampedusa. Maylis de Kérangal consacre ce court récit, très personnel, de 74 pages à la confrontation du pouvoir évocateur de cette île du sud de l’Italie au drame qui est en train de s’y dérouler.
Commence alors chez elle un étrange cheminement. Les images s’enchaînent au fil de sa pensée. D’abord, le visage de Burt Lancaster, prince Salina, dans le Guépard, film mythique de Visconti, inspiré de l’unique ouvrage de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Et aussi le corps de Burt Lancaster interprétant Ned Merrill dans le Swimmer de Franck Perry « qui a fait l’étrange projet de rentrer chez lui à la nage ». Peu à peu, elle « explore », « déplie », « décompose » le nom de Lampedusa. Elle convoque ses souvenirs. Films, voyages à travers le monde, paysages, lectures se mêlent, s’entremêlent, s’entrechoquent avec le navire, les corps des migrants, les disparus, les morts. Une traversée tragique au milieu de la nuit.
Le titre du livre, à ce stade de la nuit, revient au début de chaque chapitre, anaphore sans capitale, comme un continuum pour mieux dire le temps de l’insomnie et le ressac des vagues contre le navire qui sombre. Lampedusa, de la fiction à la tragédie. Un récit balayé par une mer qui ne purifie plus mais qui engloutit. Lampedusa, « l’épicentre […] de l’inhospitalité européenne ». A lire pour tous ceux qui veulent comprendre, comment par le biais de l’écriture, détours après détours, comme dans une séance de psychanalyse, l’auteur s’engage progressivement dans la migration du sens du nom de Lampedusa.
Si Maylis de Kérangal écoutait la radio, Denis Heudré, lui, ce jour-là, regardait la télévision. « Jeudi 3 octobre 2013 versera à jamais du noir dans mon bleu », des sacs bleus, linceuls insupportables, le bleu de la mer qui engloutit, « un bleu amer », « [ce] bleu [qui] ne sera jamais plus bleu ». Sidération, vertige, écœurement. Comment répondre à l’insupportable. Par un poème, un long poème, Bleu Naufrage, élégie de Lampedusa. Un chant de mort. Que sait-on de ces enfants, de ces femmes et de ces hommes dont la vie s’est achevée en Méditerranée ? On ne sait rien et on ne saura plus jamais rien. Le poète est envahi par la tristesse. « Je t’appellerai Quinze, c’est peut être ton âge, c’est le numéro de ton cercueil ». Sortir Quinze de l’anonymat, lui donner vie et à travers lui rendre hommage aux centaines de migrants qui pensaient pouvoir rejoindre un monde qu’ils imaginaient meilleur. Ils ont trouvé la mort en Méditerranée. Au large de Lampedusa, ils ont sombré dans l’oubli.
Des fragments, des vers libres, des silences, des strophes. Face à l’indicible, à l’inimaginable, opposer quand même des mots, des mots simples, des mots malgré tout. Les mots se succèdent au rythme de la révolte du poète. Personne n’a eu le temps de croire en ton sourire. Le poème touche. La lecture est éprouvante, mais nécessaire.
Lampedusa le chagrin du monde.
Quand Edouard Glissant appelait Patrick Chamoiseau pour lui dire « On ne peut pas laisser passer cela ! » « Il appuyait » explique Chamoiseau, « sur le on ne peut pas ». Au lendemain de ce jeudi d’octobre 2013, Patrick Chamoiseau publiait dans son blog de Médiapart, Lampedusa, ce que nous disent les gouffres. Dans ce chant, qui semble peu connu, l’écrivain-poète fait raisonner les clameurs en Méditerranée avec la Traite à nègres qui fit de l'Atlantique le plus grand oublié des cimetières du monde » « Les gouffres appellent le monde. Les gouffres appellent au monde ». Frères Migrants était probablement déjà en germe. Ce plaidoyer poétique qui appelle au réveil des esprits, à changer nos représentations. Ce ne sont pas les migrants qui nous menacent, mais « l’insidieuse barbarie », « le paradigme du profit maximal », la politique du tout-économie. Patrick Chamoiseau exhorte à regarder différemment «Ho ! que les morts massives en Méditerranée nous dessillent le regard ». Il appelle à un humanisme mondialisé, il appelle à regarder les lucioles de Pasolini et de Césaire, « les lucioles sont indispensables quand la nuit est à la fois à l'extérieur de nous et en nous ». « Elles permettent d'imaginer une aube, un lever de soleil ».
Une « déclaration des poètes » conclut le manifeste de Patrick Chamoiseau. Elle engage à se mobiliser pour les droits des migrants, on la fait sienne et on aimerait qu’elle soit largement relayée.
Déclaration des poètes - article 13
Les poètes déclarent que la Méditerranée entière est désormais le Lieu d’un hommage à ceux qui y sont morts, qu’elle soutient de l’assise de ses rives une arche célébrante, ouverte aux vents et ouverte aux plus infimes lumières, épelant pour tous les lettres du mot ACCUEIL, dans toutes les langues, dans tous les chants, et que ce mot constitue uniment l’éthique du vivre-monde.
A mettre en vis-à-vis avec
Déclaration universelle des droits de l’homme - article 13
1 - toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État.
2 - toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.
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[1] Jacques Prévert, Étranges étrangers in Grand bal du printemps. La Guilde du Livre, 1951 ; Éditions Gallimard, 1976
[2] Bernard Lavilliers, Croisières Méditerranéennes ( 4’03) - Album : 5’ minutes au paradis - CD Barclay, 2017. https://www.youtube.com/watch?v=6a6DWb5dxKs&list=RD6a6DWb5dxKs
[3] Ibid.
Concert Poétique à Majorque - Par Régine de La Tour
Du 9 au 13 mai 2017 s'est tenu sur l'île de Majorque le XIXe festival de Poésie de la Méditerranée.
Visca la poesia![1] Que vive la poésie !
Cette année, ils étaient quatorze, quatorze poètes[2], voix connues et voix émergentes, douze langues différentes, arabe, anglais, basque, catalan, espagnol de Cuba, esperanto, français du Québec, galicien, népalais, polonais, portugais et roumain.
"Try Majorca, it is paradise, if you can stand it"[3]. C’est dans cette île des Baléares, dont Gertrude Stein vantait les mérites au poète anglais Robert Graves, que tous les ans depuis 19 ans se déroule, loin du tourisme de masse, el Festival de Poesia de la Mediterrània[4]. Un festival intimiste qui s’articule autour des voix et des langues des poètes.
Pendant quelques jours, lectures de poèmes dans l’île catalane.
Emotions, quand, en avant-première, à l’ombre des citronniers et des orangers du jardin de Marguerite Moragues à Son Oliver, au soleil couchant, Abdellatif Laâbi, le poète marocain en exil en France, lit sa poésie en arabe, suivi par Ion Muresan, le roumain et Xavier Farré, le catalan. Mystère de ces langues qu’on ne comprend pas forcément. Langue musique, on écoute la voix du poète, le rythme, la mélodie, le phrasé, l’accent, les tonalités, les sonorités, l’intensité, le souffle, les silences. Le ton du festival est donné. ...
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[1] [T.d.A.] Vive la poésie !
[2] voir encadré : quatorze poètes, voix connues et voix émergentes
[3] [T.d.A.] Essayez Majorque, c’est le paradis, si vous pouvez le supporter
Un billet sur la Rentrée littéraire 2016560
C’est LE chiffre de la rentrée.
Selon Livre Hebdo, gardien du temple en la matière, il parait qu’en septembre, ce sont 363 romans français et 197 nouveaux romans étrangers traduits en français qui débarqueront dans les rayons. Entre parenthèses, il en faut de la place pour tous ces livres. Combien n’auront même pas la chance d’être mis en valeur ?
Cela s’appelle la rentrée littéraire.
Bon, alors il fait comment le commun des lecteurs pour choisir ?
S’en remettre à la critique qui ne manquera pas de se focaliser sur à peine 10 % de ces ouvrages ?
Regarder La Grande Librairie, écouter le « Masque et la Plume » ?
Acheter Le Magazine Littéraire, l’Obs, Télérama, les Inrockuptibles, Le Monde, Le Figaro et tous les autres pour leur « spécial rentrée littéraire » ?
Choisir les « meilleures ventes » dans les têtes de gondoles des grands magasins et autres supermarchés ?
Faire confiance à son libraire qui aura arrangé sur une table les romans qu’il aura aimés, pour lesquels il aura parfois rédigé une petite note à la main accrochée avec un trombone sur la couverture ?
Le bouche à oreille ?
Le goût de la bonne copine ou du bon copain ?
Lire les 4e de couverture ?
Se laisser séduire par un titre ?
Rester sur les valeurs dites « sûres » au risque de laisser passer la pépite ?
Décider de lire tous les premiers romans ?
Cliquer sur « la rentrée littéraire » d’une célèbre entreprise de commerce électronique et se laisser guider par je ne sais quel algorithme qui saura vous recommander le livre qui vous conviendra ?
Suivre sur Instagram les lectures, en avant-première, de certains écrivains et critiques littéraires qui auront distillé tout au long de l’été leurs coups de cœur, attisant ainsi notre curiosité ?
Ou encore, dénicher ces blogs, qui loin de la médiatisation, partageront leur enthousiasme littéraire ?
En tout cas, selon le Magazine Littéraire, il parait que cette rentrée sera celle l’ « autofiction attaquée par l’exofiction »[1]. Euhhhh, mon correcteur orthographique ne reconnait pas ce mot !
La rentrée littéraire n’échappera probablement pas au buzz médiatique.
Belle rentrée, très belles lectures.
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[1] Fouquet M., Burdeau, E. (2016, septembre). L’autofiction attaquée par l’exofiction, Le Magazine Littéraire, n°571, p.12
Exofiction : un terme forgé en 2013, " un genre littéraire qui élabore, à partir de la vie de personnes réelles, un récit des émotions et des scènes oubliées".