Littérature vietnamienne
Des livres de la nouvelle littérature vietnamienne : des auteurs du Vietnam de l’intérieur, et d’autres de l’étranger.
Après près de 40 ans de lutte nationale contre les Japonais, les Français, les Américains, après l’instauration d’un régime « communiste », après la répression des « cent fleurs » des années 1956-1957, après les autodafés de livres des intellectuels non conformistes jusqu’en 1985, on aurait pu penser que la littérature vietnamienne contemporaine serait définitivement et uniquement représentée par le roman héroïque sur fond de guerre libératrice.
Il n’en est rien ! Cette littérature vietnamienne contemporaine, ce sont aujourd’hui des dizaines d’auteur(e)s de l’intérieur comme de l’extérieur qui rompent résolument avec le « réalisme socialiste ». Le « seul point qui les réunit tous, c’est justement l’ouverture au monde » (entretien avec Doan Cam Thi (*) dans Les Lettres Françaises du 5 juin 2017). Dans cette littérature le "Je", y compris le "Je" féminin, reprend toute sa place.
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(*) A publié en janvier 2019
« Un moi sans masque » - L’Autobiographie au Vietnam (1887-1945), Dans ce livre il montre « comment l’autobiographie, ce genre littéraire spécifique, s’est inscrite dans une longue tradition vietnamienne de l’écriture de soi… (comment) la littérature du moi s’est élaborée en tissant un lien direct avec un projet national indissociable de la modernisation et de la décolonisation ».
Le dévoué
Viet Thanh Nguyen
Après avoir réchappé d'un camp de rééducation, Vo Danh (l'homme sans nom, l'espion, l'agent double à la solde des communistes, héros et narrateur du Sympathisant) atterrit à Paris en même temps qu'une cohorte de réfugiés vietnamiens. Il est accompagné de Bon, son frère de sang, toujours aussi résolument anti-communiste (et ignorant de la double identité de Vo Danh).
Tous deux logés dans le 11ème arrondissement de Paris, ils se lancent à l'assaut de la capitale bien décidés à faire leur trou et surtout à se remettre de leurs émotions. Hélas, Le Boss, leur seul contact à Paris, n'est autre qu'un trafiquant notoire qui leur offre en guise de job, de devenir ses hommes de main, chargés de régler leur compte aux mauvais payeurs et autres resquilleurs. Bien trop sensible pour supporter toute cette violence, Vo Danh propose au Boss de se lancer dans un trafic de cannabis auprès des intellectuels de gauche et autres philosophes marxistes. Un business plus tranquille et plus lucratif.
Du moins le croit-il, car très vite, il se retrouve au cœur d'une brutale lutte de territoire entre dealers algériens. Et comme si tout cela ne suffisait pas, Bon et lui apprennent une incroyable nouvelle : l'homme masqué, leur tortionnaire au camp de rééducation, serait lui aussi à Paris et occuperait un poste important à l'ambassade du Vietnam.
Pour Vo Danh qui pensait couler des jours heureux à Paris, boire des crèmes en terrasse tout en se goinfrant de croissant, les ennuis ne font que commencer...
Jamais rien ne meurt - Vietnam, mémoire de la guerre
Viet Thanh Nguyen
Après le retentissement international du Sympathisant, Viet Thanh Nguyen revient avec un essai remarquable et érudit sur la guerre, la mémoire et l'identité. Puisant dans sa propre histoire, celle d'un intellectuel vietnamien ayant vécu l'exil et grandi aux États-Unis, l'auteur s'interroge sur cette guerre que les Vietnamiens nomment " américaine " et que les Américains nomment " du Vietnam ". De quelle manière est-elle remémorée, commémorée, industrialisée ? Quels sont les enjeux de la bataille du souvenir ?
Analysant de nombreuses formes de témoignage, dont essais, romans, photographies, films, monuments commémoratifs, Viet Thanh Nguyen dépasse l'interprétation binaire du conflit pour tenter de restituer une mémoire juste, globale, qui prendrait aussi en considération d'autres points de vue, notamment ceux des civils, des ennemis, des vaincus et des populations alentour.
Chercher à restituer la vérité pour que jamais rien ne meure. Reconnaître la part d'humanité et d'inhumanité de chacun. Permettre la réconciliation et, ainsi, éviter que l'Histoire ne se répète.
Un bref instant de splendeur
Ocean Vuong
Un bref instant de splendeur se présente sous la forme d’une lettre qu’un fils adresse à sa mère qui ne la lira jamais. Fille d’un soldat américain et d’une paysanne vietnamienne, elle est analphabète, parle à peine anglais et travaille dans un salon de manucure aux États-Unis. Elle est le pur produit d’une guerre oubliée. Son fils, dont la peau est trop claire pour un Vietnamien mais pas assez pour un Américain, entreprend de retracer leur histoire familiale : la schizophrénie de sa grand-mère traumatisée par les bombes ennemies au Vietnam, les poings durs de sa mère contre son corps d’enfant, son premier amour marqué d’un sceau funeste, sa découverte du désir, de son homosexualité et du pouvoir rédempteur de l’écriture.
Ce premier roman, écrit dans une langue d’une beauté grandiose, explore avec une urgence et une grâce stupéfiantes les questions de race, de classe et de masculinité. Ocean Vuong signe une plongée dans les eaux troubles de la violence, du déracinement et de l’addiction, que la tendresse et la compassion viennent toujours adroitement contrebalancer. Un livre d’une justesse bouleversante sur la capacité des mots à panser les plaies ouvertes depuis des générations.
Le Sympathisant
Viet Thanh NGUYEN
À la fois fresque épique, reconstitution historique et œuvre politique, un premier roman à l'ampleur exceptionnelle, qui nous mène du Saigon de 1975 en plein chaos au Los Angeles des années 1980. Saisissant de réalisme et souvent profondément drôle, porté par une prose électrique, un véritable chef-d'œuvre psychologique. La révélation littéraire de l'année.
Au Vietnam et en Californie, de 1975 à 1980
Avril 1975, Saïgon est en plein chaos. À l'abri d'une villa, entre deux whiskies, un général de l'armée du Sud Vietnam et son capitaine dressent la liste de ceux à qui ils vont délivrer le plus précieux des sésames : une place dans les derniers avions qui décollent encore de la ville.
Mais ce que le général ignore, c'est que son capitaine est un agent double au service des communistes.
Arrivé en Californie, tandis que le général et ses compatriotes exilés tentent de recréer un petit bout de Vietnam sous le soleil de L.A., notre homme observe et rend des comptes dans des lettres codées à son meilleur ami resté au pays. Dans ce microcosme où chacun soupçonne l'autre, notre homme lutte pour ne pas dévoiler sa véritable identité, parfois au prix de décisions aux conséquences dramatiques. Et face à cette femme dont il pourrait bien être amoureux, sa loyauté vacille...
Lauréat du Translation Prize 2018 de la French-American Foundation, Prix Pulitzer 2016, Prix Edgar du Meilleur Premier Roman 2016, finaliste du prix PEN/Faulkner, un premier roman choc.
Les Réfugiés
Viet Thanh Nguyen
Auteur du retentissant Sympathisant, Viet Thanh Nguyen livre un recueil de nouvelles d'une justesse, d'une acuité et d'une élégance peu communes, et offre sa voix à tous les déracinés.
Dans un pays où tout était affaire de possessions, nous ne possédions rien d'autre que nos histoires.
Vietnamiens, ils ont fui le communisme à la fin des années 1970 pour s'exiler de l'autre côté du Pacifique, en Californie. Ils vivent entre deux rives, entre pays d'adoption et pays de naissance, pas encore Américains, plus tout à fait Vietnamiens. Certains sont figés dans le passé, hantés par les fantômes, effarés par l'hédonisme occidental ; d'autres veulent aller de l'avant, pour eux, pour les enfants, pour la possibilité d'une autre vie. Pour n'être plus simplement des réfugiés.
Les inconsolés
Minh Tran Huy
Entre Lise et Louis, la rencontre produit des étincelles dignes des romans et des films que la jeune fille, rétive aux renoncements de l'âge adulte, confond parfois avec la vie. Leur histoire - le premier amour - se déroule tel un conte. Mais comme dans un conte, elle est rapidement minée par la petite musique de l'enfance mal aimée, le refrain des rapprochements impossibles, des différences infranchissables. Et bientôt la nuit des malédictions envahit le rose des rêveries romantiques.
Nimbé d'un mystère qui de page en page s'épaissit, Les Inconsolés est une histoire de fantômes et de vengeance, où l'on retrouve le talent délicat et têtu de Minh Tran Huy pour la navigation de l'eau qui dort - dont chacun sait qu'il faudrait s'en méfier.
Il y a l'élan vers l'amour fou, l'irrésistible faim d'aimer - et d'être aimé, enfin -, les blessures de l'enfance, le poids des origines et les émerveillements de la jeunesse. Il y a aussi cette manière toute personnelle, à la fois sincère et ironique, de pousser les clichés jusqu'à leur paroxysme, jusqu'à en extraire toute la vérité, en révéler le tranchant, les dangers.
Entre thriller romantique et conte de fées cruel, ligotant l'une à l'autre naïveté et lucidité, le nouveau roman de l'auteur de La Double Vie d'Anna Song nous livre aux vénéneux tentacules du malentendu.
Les os des filles
Line Papin
Ecrit en Français par une jeune auteure franco-vietnamienne habitant en France depuis l'âge de 10 ans, ce livre n'est peu-être pas complètement partie prenante de la littérature vuetnamienne au sens stricte. Mais par l'histoire contée, il l'est assurément.
« Tu avais dix-sept ans alors, à peine, et tu as pris l’avion, seule, pour retourner à Hanoï. Tu vois, j’en ai vingt-trois aujourd’hui, et je retourne, seule, une nouvelle fois, sur les lieux de ton enfance. Tu es revenue et je reviens encore, chaque fois derrière toi. Je reviendrai peut-être toujours te trouver, trouver celle qui naissait, celle qui mourait, celle qui se cherchait, celle qui écrivait, celle qui revenait. Je reviendrai peut-être toujours vers celle qui revenait, vers les différents coffrets d’os, vers les couches de passé qui passent toutes ici. »
« Après deux premiers romans fictionnels, je me suis trouvée face à la nécessité d’écrire un roman plus intime. L’écriture lyrique dont j’avais usé jusque-là laissa place soudain à une écriture plus directe, sans autre envie que celle de raconter la stricte vérité. Pourquoi ? Pour trouver, à travers la littérature, des réponses aux questions qui nous empêchent de vivre.
Les Os des Filles est l’histoire de trois femmes : Ba, sa fille et sa petite-fille – ma grand-mère, ma mère et moi-même. L’histoire commence dans les années 1960, pendant la seconde guerre d’Indochine, sous les bombes d’un village vietnamien. Seule, Ba y élève ses trois filles, avec l’intention de monter à Hanoi, la capitale, pour s’extraire des conditions de vie misérables. Si elle y parvient, le quotidien de cette famille est toutefois brisé en 2005 par le départ des filles en Occident. Tandis que la grand-mère reste à Hanoi, sa fille s’installe en France avec sa petite-fille. Cette dernière, arrachée à sa terre natale, garde dans son corps le souvenir des guerres, des famines et des bombes. Quand l’enfant tombe malade, quelques années plus tard, à l’hôpital où elle se retrouve, son corps fatigué se rappelle les combats d’une grand-mère pour survivre.
Ainsi, Les Os des filles est un roman sur trois générations de femmes qui ont traversé trois combats : celui de la guerre, celui de l’exil et celui de la maladie. Comment les événements historiques influent-ils sur les relations personnelles ? Comment le lien affectif entre une fille et sa mère peut-il être brisé par une bombe, un avion ou bien un hôpital ? De quoi sont donc faits les os qui nous soutiennent ? En 2018, j’ai voulu revenir sur le récit de cette filiation maternelle brisée, afin de réparer avec l’écriture, peut-être, des choses irréparables. »
Un général à la retraite
Huy-Thiêp Nguyên
La fin de la vie et la mort d'un vieil officier qui fut une figure emblématique de la révolution, la malédiction qui poursuit durant cent ans la progéniture mâle d'une lignée, un chasseur qui redécouvre en lui des restes d'humanité en observant une famille de singes... Au fil de ces nouvelles, Nguyên Huy Thiêp quête chez ses personnages une grandeur d'âme disparue. «Un dramaturge dont la verve satirique peut faire parfois penser à Ionesco.» Jean Lacouture «Nguyên Huy Thiêp est considéré comme le plus grand écrivain du Viêt-nam, tant par ses compatriotes que par les critiques.» Nicole Zand, Le Monde
Terre des oublis
Duong Thu Huong
Alors qu’elle rentre d’une journée en forêt, Miên, une jeune femme du Hameau de la Montagne, situé en plein cœur du Viêtnam, se heurte à un attroupement : l’homme qu’elle avait épousé quatorze ans auparavant, dont la mort comme héros et martyr avait été annoncée depuis longtemps déjà, est revenu. Miên est remariée avec un riche propriétaire terrien, Hoan, qu’elle aime et avec qui elle a un enfant. Bôn, le vétéran communiste, réclame sa femme. Sous la pression de la communauté, Miên, convaincue aussi que là est son devoir, se résout à aller vivre avec son premier mari.
Au fil d’une narration éblouissante, la romancière passe de l’un à l’autre des personnages de ce triangle tragique. Miên tente désespérément de se réhabituer à un homme épousé très jeune, physiquement détruit par des années de combats et d’errances dans la jungle, mû par la seule obsession d’engendrer un fils. La jeune femme, nuit après nuit, vit un calvaire. Elle ne peut oublier Hoan qui, résigné, a fui vers la ville où, malgré ses succès commerciaux, il vit un enfer.
Plongeant dans le passé de ces trois innocentes victimes, éclairant leurs destinées individuelles par l’évocation d’une société pétrie de principes moraux et politiques, convoquant leur quotidien dans une somptueuse description de sons, d’odeurs et de couleurs, Duong Thu Huong donne véritablement corps à son pays.
Terre des oublis, grand roman de l’après-guerre du Viêtnam, est un livre magistral.
« Un moi sans masque ». L’Autobiographie au Vietnam (1887-1945)
Doan Cam Thi
Longtemps, pour l’opinion publique comme les sciences sociales et humaines, l’Occident moderne a été la matrice de l’individu. Nombre de travaux récents sur les aires dites « extra-occidentales » ont heureusement bousculé les oppositions simplistes : individualisme/holisme, modernité/tradition, Occident/Orient, entre autres.
Dans cette veine, le présent essai interroge la période qui s’étend de 1887 – date de la parution du premier roman vietnamien du « je », L’Histoire de Lazaro Phien de Nguyen Trong Quan – aux années 1925-1945, marquées par trois autobiographies fondatrices. Si dans Le Grand Rêve (1928) Tan Dà retrace son parcours singulier, de sa formation mandarinale à son accès au statut d’écrivain moderne tout en revendiquant l’empreinte de Zhuangzi et de son fameux rêve de papillon, Jours d’enfance (1938) et Herbes folles (1944) sont, quant à eux, l’œuvre de Nguyên Hông et de Tô Hoài, issus de l’école franco-indigène, lecteurs passionnés de Rousseau, Freud, Gide, Marx, Trotski, et futurs révolutionnaires.
Comment l’autobiographie, ce genre littéraire spécifique, s’est-elle inscrite dans une longue tradition vietnamienne de l’écriture de soi ? L’ouvrage explore ici la manière dont la littérature du moi s’est élaborée en tissant un lien direct avec un projet national indissociable de la modernisation et de la décolonisation.
Menu de dimanche
Pham Thi Hoai
La scène se passe à Hanoi, dans un atelier de couture, à moins que ce ne soit dans un café, en compagnie d’intellectuels désabusés, ou encore sur la plage que parcourt, en proie au doute, un cinéaste amoureux. Dans un deux-pièces, une jeune fille entend les soupirs de sa mère pendant l’amour. Sous les toits, une adolescente invente, pour égayer les derniers jours de sa grand-mère, de poétiques menus de dimanche…
C’est une vision très contemporaine du Viêtnam que propose ici Pham Thi Hoai : un pays en quête de rêve mais torturé par son histoire, où chacun se doit de trouver en lui-même des ressources pour ne pas céder à l’atmosphère pesante, au désarroi qui nivelle le quotidien.
Ironique et sensible, ce recueil de nouvelles qui résonne d’une voix très personnelle est à entendre comme un véritable acte de résistance poétique.
Les Collines d'eucalyptus
Duong Thu Huong
Derrière les barreaux de sa prison, Thanh contemple les derniers lambeaux de brume sur la paroi rocheuse qui lui tient désormais lieu d’horizon. Il a été condamné aux travaux forcés.
Parce que ce jeune homme sans histoire, excellent élève et fils modèle, a découvert très tôt son homosexualité et qu’il lui a paru insurmontable de l’avouer à ses parents, son destin a basculé. Comment il est tombé sous la coupe d’un mauvais garçon avec qui il a fui sa ville natale et comment il s’est retrouvé piégé, c’est le fatal et poignant engrenage que Duong Thu Huong met en scène.
Thanh est désespérément seul pour cette descente dans les cercles de son enfer intime. Il ne peut confier à personne les affres de sa relation avec son compagnon qui, en parfait manipulateur, joue de l’attirance physique qu’il exerce pour vivre à ses crochets. Honteux de sa faiblesse et de sa lâcheté, Thanh se garde bien de demander conseil à Tiên Lai, l’homme mûr en qui il a pourtant le sentiment d’avoir rencontré un alter ego.
À Dalat où ils végètent comme ramasseurs de balles sur des cours de tennis, Thanh n’a pas la force d'éconduire son mauvais génie. Il s'enfuit en vain à Saigon, croyant trouver refuge dans l'anonymat de la métropole.
Si l’issue de cette sombre liaison est bien fatale, Duong Thu Huong écrit pourtant un roman de la rédemption. Son jeune héros, dont les tribulations lui donnent la matière d'une vertigineuse plongée dans le Vietnam de la fin des années 80, ne finira pas au bagne.
Les Collines d'eucalyptus est une somptueuse variation sur le thème du retour de l’enfant prodigue, un roman éclairé par la compassion et l'intelligence humaine qu'un écrivain au sommet de son talent témoigne à ses personnages.
Le Chagrin de la guerre
Bao Ninh
Roman traduit du vietnamien par Phan Huy Duong
« Avec Bao Ninh, dernier-né d’une nouvelle génération d’écrivains, le Viêtnam cherche de nouveau à exorciser l’agonie de ses guerres. » (Jean-Claude Pomonti, Le Monde)
Un homme de trente ans revient après dix années de guerre. Il essaie de recoller les morceaux épars de son existence. A la lueur d’une petite lampe à pétrole, nuit après nuit, feuillet après feuillet, il écrit sa vie, la guerre, l’amour. L’écriture le repousse de plus en plus loin, de plus en plus profondément dans le passé, la boue, le sang, la violence, les atrocités. Et les feuillets s’entassent pendant que la vie de tous les jours se délite, pendant que la mémoire, comme un fleuve à la dérive, à travers mille méandres, l’ensevelit dans les pages cachées de son passé. Pour qu’il écrive ce chagrin de la guerre, cette tristesse de l’amour
Immense comme la mer
Nguyên Ngoc Tu
« Trois fois couler, sept fois refaire surface, neuf fois ballottés par les flots. » Le fil conducteur de ces nouvelles est le fleuve – personnage central dont viennent tous les maux… mais aussi tous les bonheurs. Sur ce fleuve, des sampans occupés par des hommes et des femmes qui se battent pour leur survie mais qui, pour tout l’or du monde, ne renonceraient au monde de l’eau pour celui de la terre. L’Aube, éditeur d’auteurs vietnamiens majeurs comme Nguyên Huy Thiêp et Bui Ngoc Tan, propose ici de découvrir une jeune femme écrivain, Nguyên Ngoc Tu. Saluons cette parole résolument contemporaine, proche de la vie du fleuve et de ses femmes qui se battent pour leurs hommes, pour leurs enfants – pour elles-mêmes.
Un autre ciel
Nguyên Binh Phuong
Traduction : Emmanuel Poisson
« Adolescente, tu as été clouée au lit pendant deux semaines, le cerveau dans les nuages, les membres dans les nuages, devenue toi-même un nuage. Seul ton sirop fébrifuge pouvait immobiliser le nuage. Guérie, tu trouvais tout étrange, depuis les cris humains, les bruits de voitures, les feuilles à la surface de l’eau jusqu’aux fleurs de temps à autre visibles dans la canopée. »
À Hanoï, au crépuscule du XXe siècle, une jeune fille vit deux amours. Elle n’a plus de prise sur le réel mais balance entre une certaine nostalgie du passé et un obscur désir de changement.
Le récit est traversé par le « tu » d’un narrateur à l’identité incertaine, peut-être un des doubles de l’héroïne. Nous parle-t-elle, se parle-t-elle ou lui parle-t-on ? Ce jeu autour de la deuxième personne du singulier permet d’exprimer les sentiments ambigus de l’héroïne.
Paru au Vietnam en 1999, ce roman est sans conteste un des plus originaux de l’auteur, chef de file de la nouvelle génération.
T. a disparu
Thuân
Traduit du vietnamien par Doan Cam Thi
T., une jeune Vietnamienne de Paris, disparaît emportant avec elle son corps, mais aussi toutes ses traces, y compris ses photos et son nom. Dans la pensée de son mari – le narrateur du roman –, ses souvenirs ne tiennent jamais en plus de trois lignes, au point que le lecteur doute de son existence. Qui est T. ?
L’enquête que mène le narrateur nous conduit dans la capitale à la rencontre des habitants de ses différents quartiers et sa banlieue, des immigrés dans les HLM de Clichy-sous-bois aux nouveaux riches de l’avenue Victor Hugo en passant par les Chinois du Treizième arrondissement. Roman à suspense, T. a disparu mêle ennui et divertissement, drame et dérision.
Parallèles
Vu Dinh Giang
Traduit du vietnamien par Yves Bouillé
Alors que le soleil de l’été fait rage, deux jeunes amants homosexuels se réfugient dans leur monde intérieur. A l’abri de la lumière et de la réalité, ils s’inventent des jeux qui prennent la forme de performances artistiques, où ils tentent de tuer tout ce qui leur est insupportable. Entre images obsessionnelles et peurs enfantines s’amorce alors un cauchemar pictural éveillé, et une recherche du salut dans la destruction. Les relations homosexuelles sont ici dépeintes à grand renfort de noirceur, comme une soif de fusion désespérée. A l’image de deux droites parallèles, évoluant côte à côte, sans jamais pouvoir se rencontrer.
Un roman audacieux où l’auteur rompt avec les formes classiques pour jouer avec une écriture libre et instinctive.
A contre courant
Nguyen Danh Lam
Traduit du vietnamien par Doan Cam Thi
Coup de foudre à Saïgon. Dans l’ascenseur d’une tour ultramoderne, N., un chômeur solitaire, rencontre une jeune fille dont les lèvres écarlates formeront dès lors la seule lueur dans sa sombre existence. Leur relation sera tissée de séparations et de retrouvailles, sans qu’elle ne cesse d’être pour lui une inconnue.
Dans un Vietnam loin de la guerre et des tickets de rationnement, la jeunesse, prise dans le tourbillon de la consommation, est aussi en quête d’amour et de liberté. Au cœur de cette société d’un pays émergent, l’art, l’homosexualité, l’exil sont autant de contre-courants.
Cheval d’acier
Phan Hon Nhien
Traduit du Vietnamien par Doan Cam Thi
« Que feras-tu dans les prochains jours ? demanda-t-il dans son ultime souffle.
(…) Il est curieux que les gens soient intéressés par la vie à laquelle ils ne participeront plus ».
Imaginons un monde où s’effacerait toute limite entre pays et continents. Ne subsisteraient que les frontières entre les individus, seuls face à la mort. Avec leurs proches, les personnages du roman tentent de créer les liens de l’amour, mais souvent, ils les fuient ou les détruisent. Jeunes Vietnamiens nés avec la mondialisation, ils voyagent sans que les lieux ne soient jamais nommés, hormis Saïgon, leur point de départ, et une ville américaine, Santa Fe, qui baigne dans l’atmosphère de Georgia O’Keeffe.
Tel un triptyque de Bacon, Cheval d’acier se compose de trois récits autonomes traversés par le thème du cheval. Placé sous le signe de l’harmonie, du mouvement et de la matière, il glorifie, dès son titre, l’art et l’individu dans une écriture lumineuse.
Blogger
Phong Diep
Traduit du vietnamien par Nguyen Phuong Ngoc
La démocratisation du Net bouleverse la société vietnamienne d’aujourd’hui. A tel point que beaucoup, comme les personnages de ce roman, vivent dans une schizophrénie latente. Ha est employée d’une société d’État à Hanoi. Isolée de par son origine provinciale, mise à l’écart par ses collègues, rejetée par son fiancé, contrainte d’avorter, elle mène une existence ennuyeuse entre son bureau et sa chambre minuscule. Pour tromper son désarroi, elle navigue sur Internet qu’elle pirate grâce à la connexion wifi de l’immeuble voisin. Introvertie dans la vie réelle mais reconnue comme hot blogger, elle réussit lorsque la communication n’implique pas une présence physique. Tout se passe comme si son succès était conditionné à la disparition de son corps féminin perpétuellement mis à mal, victime de pauvreté, d’actes sexuels violents, d’avortement et d’autodestruction.
A l’origine
Nguyen Binh Phuong
Traduit du vietnamien par Danh Thành Do-Hurinville
Dans un village du Nord-Vietnam, Tinh est né sous l’emprise de la lune. Elle le hante, le perturbe et l’incite à commettre des actes irréparables. Réincarnation d’un hibou, frappé dès sa conception par le pied du père dans le ventre de la mère, Tinh recherche la compagnie des fous. Sa femme, la plus belle fille du village, se jette dans les bras d’un vieil écrivain tandis que lui, avec ses « yeux de chien, jaunes comme la lune », se perd dans des monologues incohérents. En arrière-plan, la guerre américano-vietnamienne est omniprésente. Elle détruit l’homme corps et âme, le rend sauvage et criminel…
Sans analyses psychologiques, discours intérieurs ou jugements moraux, l’auteur signe ici un roman énigmatique et puissant.
Delete
Phong Diep & Nguyen Viet Ha
Traducteur Emmanuel Poisson
Paradoxal Vietnam. En pleine mutation économique mais toujours marquée par le confucianisme et le communisme, la société d’aujourd’hui est un terrain d’exploration pour les auteurs de la nouvelle vague. « Delete » – en anglais informatique dans le texte –, « Chat fantôme » ou « Témoin malgré elle » sont des titres de nouvelles rédigées par Phong Diep sur les bouleversements qu’introduit l’Internet. Elles mettent en scène une jeunesse guettée par une schizophrénie latente due à l’usage numérique et victime de la crise urbaine. Nguyen Viet Ha pratique une autre forme d’écriture, le « tap van » (essai), qui offre une grande liberté entre fiction et journalisme. « Les aléas du végétarisme », « Le choix du mari » ou « Le retour du printemps » offrent des fragments de la vie hanoïenne, colorés et désopilants.
Une opportunité pour Dieu
Nguyen Viet Ha
De Hanoi à Saïgon, en passant par l’Europe et l’Amérique, de jeunes vietnamiens sont confrontés à une impasse matérielle et morale. Désespérés, ils se réfugient dans l’exil, l’argent, l’alcool ou la mort. La foi, au coeur de la littérature officielle, en une double émancipation, sociale – par le marxisme-léninisme – et nationale – par la guerre –, a fait ici place à l’absence d’idéal dans la jeunesse de l’après-guerre. Vingt-cinq ans après la fin du combat contre les Américains, le Vietnam est aussi pauvre en héros qu’en événements. A travers leurs journaux intimes, quatre personnages principaux occupent tour à tour la scène du roman. S’ils font tout à coeur, en amour ou dans les affaires, c’est dans les mots qu’ils vivent avec le plus de passion.
L’ascenseur de Saïgon
Thuân
Traduit du vietnamien par l’auteure et Janine Gillon
Une jeune Vietnamienne mène l’enquête, après la mort subite de sa mère dans un ascenseur à Saïgon, sur un certain Paul Polotski que celle-ci avait rencontré dans la Prison Centrale de Hanoi, à la veille de la bataille de Dien Bien Phu. Entre Hanoi, Saïgon, Paris, Pyongyang et Séoul, son enquête va de fantôme en fantôme. Carnets d’errance, L’Ascenseur de Saïgon décrit avec ténacité et dérision les mutations du bloc communiste en Extrême-Orient. Dans ce roman à la fois contemporain et historique, aussi politique que tragique, Dien Bien Phu, Indochine et amour perdu ne sont que trompe-l’oeil d’une recherche exigeante et profondément personnelle.
La praxis du Docteur Yov
Do Kh.
Bruce est un jeune routard américain, vaguement photographe de presse, qui a « égaré » sa fiancée vietnamienne pendant la chute de Saigon en avril 1975. Décidé à ne pas commettre la même erreur une deuxième fois – et même à se racheter – il part à Beyrouth pendant le siège israélien en juin 1982 pour voler au secours d’une jeune Libanaise qu’il a brièvement connue à Los Angeles. Il y a beaucoup de parallèles, de retours en arrière et bien sûr, c’est écrit d’avance et même téléphoné : cela va se terminer tout aussi mal, sinon pire.
Et le docteur Yov ? C’est l’appellation déformée que donnaient les miliciens arabes au fusil mitrailleur léger soviétique « Degtyarev » (ou RPD), populaire pendant le conflit, et ainsi affublé d’un titre médical ou universitaire. Un roman grinçant et tendre.
Saïgon samedi
Do Kh.
Saïgon, le 11 janvier 1975 : la guerre a trente ans. Mais comme tous les samedis dans la métropole sud-vietnamienne, le week-end vient juste de commencer. Dzung, étudiant privilégié, erre dans la ville à la quête d’un bon plan pour la nuit avec son ami, Hung, un soldat qui s’est éclipsé du front pour cette joyeuse occasion. Pendant leur périple sur leur belle motocyclette, ils croisent tout une galerie de personnages hauts en couleurs : une aventurière lasse du sexe, des adolescentes qui vont à leur bal de débutantes, une jeune fille de province perdue, une prostituée de 17 ans atteinte par le bovarysme, un milicien évacué médical, un parachutiste de retour d’embuscade, une veuve muette, un analyste de la CIA pour une fois correct… Et en bruit de fond, la guerre qui a toujours été là, comme la canonnade à 10 kilomètres des dancings populaires…
Khmer Boléro
Do Kh.
Anciens amants à Paris, Kim et Nam se retrouvent par hasard à Bangkok au moment du Songkran, la fête qui célèbre l’arrivée de la saison des pluies. Le couple tente de renouer, par les paroles autant que par les caresses, mais la mousson se fait désirer. Ils décident de partir à sa rencontre, vers l’Est, qui est aussi la direction de leur pays d’origine : le Vietnam. En compagnie de Phailin, une jeune fille de la haute société thaï, s’engage alors un road-trip à travers le nouveau Cambodge, au gré des rencontres et au rythme des boléros asiatiques, qui s’achève à Bavet, poste frontière piqué de casinos et de karaoké improbables. Et la météo reste capricieuse… Humour cru et amour sexe, voyage et exil forment ici un cocktail détonant.
La fiancée du lieutenant T. et autres nouvelles
Do Kh.
Du ministre congolais recueilli en Suède à l’ancien Vietnamien de la guerre d’Algérie échoué sur les rives de la Francilienne N34, les personnages de ces dix nouvelles partagent la fragilité de leurs enracinements. Dans un monde où les matières, les produits, les valeurs, les armes et les conflits se globalisent à grande vitesse, les hommes peinent à trouver leur place de stationnement. Migrants ou réfugiés – surtout de leurs intérieurs –, ils promènent ici et là avec eux ces vieux paquets qu’ils préservent sous cellophane ou toujours enveloppés dans la même feuille de bananier…
La fiancée du lieutenant T., L’immeuble azur, Miss Sarajevo sous le siège, Chungking Mansions… autant de petits récits, ciselés comme des pierres dures, où le talent, l’attention à l’indicible et l’humour un peu rock’n roll de l’auteur prennent toute leur mesure. Il retrouve ici la nouvelle, sa forme préférée en vietnamien, dans ce premier recueil écrit directement en français.